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l’intelligence d’Antonio avant de choisir pour lui une profession. Il vivait modestement d’un petit négoce, et avait sans doute amassé quelques économies pour l’éducation de ses enfans.

Quoi qu’il en soit, il demeure établi qu’Antonio, avant de manier le pinceau, avait étudié les poètes, les historiens, les philosophes. Aujourd’hui, chez nous, les jeunes gens qui se destinent à la peinture sont loin de suivre la même voie. Toute leur attention se concentre sur l’étude spéciale du métier; c’est un fait malheureusement trop facile à constater. A l’École des Beaux-Arts de Paris, l’enseignement littéraire n’existe pas. La philosophie n’a jamais figuré sur le programme des leçons. Quant à l’histoire, bien qu’elle ne soit pas bannie de l’école, les élèves ne s’en occupent guère, car l’histoire n’entre pour rien ni dans les examens ni dans les concours. Il est donc tout naturel que les élèves ne lui attribuent qu’une importance très secondaire. La vie des grands hommes qui se sont illustrés dans les arts du dessin prouve surabondamment qu’avant de se consacrer tout entiers à leur profession, ils ont sondé la plupart des problèmes qui excitent la curiosité de notre intelligence. C’est une route bien longue, me dira-t-on; si avant d’aborder la peinture il faut parcourir le cercle entier des connaissances humaines, la vie sera trop courte pour l’accomplissement d’une pareille tâche. Les adversaires de l’enseignement littéraire à l’École des Beaux-Arts se font la partie trop belle en exagérant l’étendue et la durée de cet enseignement. Il ne s’agit pas en effet d’imposer aux jeunes peintres l’étude approfondie de la littérature, de l’histoire, de la philosophie, mais de leur donner sur ces trois sujets des notions élémentaires qu’ils puissent agrandir et développer par eux-mêmes. Les partisans exclusifs de l’enseignement technique nous rappellent sans cesse Giotto gardant les moutons, quittant son troupeau pour l’atelier de Cimabuë, et prenant place parmi les maîtres les plus éminens de son art. Ils oublient que Giotto, à peine familiarisé avec le maniement du pinceau, comprit la nécessité d’étudier la philosophie et la littérature de son temps. Toutes ses œuvres sont là pour attester l’étendue et la variété de ses connaissances. Depuis la charmante église de Padoue connue sous le nom de Sainte-Marie-All’-Arena jusqu’à l’Incoronata de Naples, il n’y a pas une de ses fresques où ne resplendissent les trésors d’une intelligence cultivée. Citer Léonard, Michel-Ange et Raphaël pour établir les avantages des études littéraires serait affirmer l’évidence. Chacun sait en effet que ces trois hommes, dont le nom est devenu le symbole du génie, interrogeaient avidement tous les écrivains qui pouvaient féconder leur pensée, et ne bornaient pas leur tâche à l’étude technique de leur profession.

Antonio Allegri, dont les œuvres se placent naturellement entre