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Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 8.djvu/1241

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C’est sur ces divers points que l’Autriche, la France et l’Angleterre ont dû nécessairement se mettre d’accord, outre que les puissances belligérantes ont réservé leur droit d’y joindre telles conditions additionnelles qu’elles pourraient juger utiles ; mais en ne prenant que les conditions primitives du 8 août dans leur vrai sens, dans leur portée réelle, la Russie les acceptera-t-elle comme la juste rançon qu’elle doit à la sécurité de l’Europe, si profondément troublée ? Elle a paru un moment y souscrire, on le sait. La publication récente d’une dépêche de M. de Nesselrode à M. de Budberg a montré quel sens le cabinet de Pétersbourg attachait à ces garanties. La grande concession de la Russie consistait à laisser substituer le protectorat collectif de l’Europe à son protectorat exclusif, soit dans les principautés, soit en ce qui touche les populations chrétiennes. Or c’est ce protectorat qu’on ne veut sous aucune forme. Quant à la liberté de la navigation du Danube, la Russie protestait qu’elle n’y avait jamais apporté aucune entrave. Le cabinet de Saint-Pétersbourg éludait soigneusement enfin la véritable signification de l’article qui concerne l’état de la Mer-Noire. Depuis ce moment, il est vrai, l’envoyé russe à Vienne, le prince Gortchakof, avait accepté sans restriction le principe des garanties du 8 août. Il est permis seulement de se demander si cette acceptation, produite peu avant le 2 décembre, n’avait point pour unique objet de faire avorter les négociations d’où allait sortir le traité nouveau. Dans tous les cas, la Russie est aujourd’hui dans l’alternative de souscrire à ces garanties qu’elle a donné le droit de prendre contre sa politique, ou de s’obstiner dans la lutte. Si elle refuse d’accepter la paix aujourd’hui, le traité du 2 décembre produit toutes ses conséquences ; il devient un fait permanent, il crée des relations, des solidarités nouvelles, et c’est ce qui fait sa gravité. Pour l’Autriche, c’est l’affranchissement d’une vieille et onéreuse alliance ; pour la France particulièrement, c’est la cessation d’un état qui remonte à 1815, que quarante ans de paix n’avaient pu détruire. Ni la restauration avec ses déférences, ni la monarchie de juillet avec sa modération et sa sagesse, n’avaient pu briser ce réseau formé au nord contre son influence. Il s’est trouvé un intérêt élevé et puissant pour réaliser cette transformation, que n’avait pu accomplir la sagesse des hommes et des gouvernemens, pour changer tout un système d’alliances, pour modifier toutes les situations, en mettant à nu l’antagonisme profond, menaçant de l’Occident et de la Russie.

Là est la valeur de l’acte diplomatique du 2 décembre à différens points de vue. C’est le gage sérieux d’une politique nouvelle, préservatrice et libérale. C’est ce qui explique aussi l’impression immense et très diverse que le traité signé à Vienne a produite en Allemagne ; il a été une déception véritable pour les partisans de la Russie, qui espéraient encore que l’Autriche ne prendrait point une résolution si nette ; ils comptaient du moins ajourner cette résolution. L’article additionnel consenti par la Prusse avait ce sens à leurs yeux, et peut-être n’avaient-ils pas perdu toute confiance de voir se réveiller dans les conseils de l’Allemagne le vieil esprit de 1813. C’était là l’idéal proposé à la jeunesse de l’empereur François-Joseph. S’allier avec la Russie, ou tout au moins s’enfermer dans une neutralité qui eût été une abdication, voilà le résumé de cette politique. Le traité du 2 décembre a été le dernier