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Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 8.djvu/1249

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Guerrois ont un mérite réel souvent ; ils expriment avec sincérité les impressions les plus intimes, bien que l’auteur multiplie les expressions d’une même pensée et bien qu’il se trompe peut-être sur le degré de nouveauté de son entreprise La poésie de M. Charles Des Guerrois est évidemment la fille très-directe et tres-legitime des Consolations ; mais voyez le malheur ou le piège, on croit avoir crée une poésie nouvelle ; on veut aussitôt forcer toutes les portes de la gloire, et si ces portes ne tombent pas subitement devant vous on s’arme en guerre un peu contre tout le monde, contre le siècle, contre le public, contre les critiques surtout. Quant aux critiques, il faut l’avouer M. Des Guerrois les réduit complètement en poudre. Ce sont des égoïsmes féroces, prétendant accaparer la gloire, et ne voulant laisser tomber miette de leur festin ; ils n’ont que « la supériorité de l’insignifiance. » Des critiques de leurs opinions et de leurs jugemens, il ne restera pas même « un peu de poussière pour danser dans un rayon de soleil. » Après quoi l’auteur des Paysages de Champagne se fait lui-même sa place. « Je veux mon rang, dit-il, je l’attends, je l’aurai ; je l’aurai, quoique je ne fasse courbette à aucun journaliste grand ou petit, quoique j’aie entre mes idées qu’un poète est quelque chose de plus qu’un critique payé pour l’être… » Ainsi parle M. Des Guerrois avec un mépris superbe, colletant quelque peu cette gloire rétive, et disant leur fait aux critiques. Qu’ont-ils fait cependant, ces critiques ? Ils n’ont rien dit ; que serait-ce s’ils avaient parlé ! Amusante et naïve irritation d’une nature poétique inquiète, douloureuse, à qui le silence pèse ! M. Des Guerrois a trop le goût des préfaces oiseuses. Sans ses préfaces, ses vers ne seraient pas meilleurs, mais ils apparaîtraient mieux dans leur grâce voilée, modérée, discrète, et on ne serait point tenté de leur demander s’ils sont au niveau de l’ambition qui les inspire.

Les choses contemporaines, disons-nous, ont leur poésie secrète et forte, et elles ont aussi leur ironie. C’est cette vive et profonde ironie qui ressort du jeu secret des événemens humains, des passions, des vices, des ridicules, des vénalités et des transactions de la conscience, des hypocrisies et des fraudes déguisées en vertus. Vices, passions, ridicules changent de forme suivant les temps ; ils restent les mêmes au fond, inépuisable aliment de la satire et de la comédie. Certes c’est un aliment qui ne manque pas de nos jours ; le poète de l’ironie manquerait plutôt, outre que pour bien des raisons les Aristophanes ne sont pas de toutes les époques. M. Paulin Limayrac a essayé de se saisir de cette arme de l’ironie ; il n’a point eu tort de puiser dans les mœurs modernes le sujet du tableau satirique auquel il donne le nom de la Comédie en Espagne ; il a seulement cédé à une pensée singulière en identifiant ces vices et ces ambitions qu’il peint avec les habitudes d’un régime politique qui n’existe plus, car enfin ne serait-ce que sous le régime parlementaire qu’il y a des cupidités de pouvoir, des écrivains qui trafiquent de leur plume, des servilités intéressées ? M. Limayrac a transporté en Espagne, il est vrai, la scène de son drame, se rappelant où Beaumarchais avait placé Figaro. Un député, un industriel, un écrivain réunis par une même pensée, celle d’arriver à tout prix, tous ces personnages s’appuyant les uns les autres, et cherchant par la fascination de leur nom à se ménager une alliance opulente, tels sont les élémens avec lesquels M. Limayrac a composé son tableau sati-