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REVUE MUSICALE.

L’année qui aura bientôt fini son cours n’aura produit rien de remarquable dans l’empire de la fantaisie, et particulièrement dans l’art musical : tout est morne et silencieux dans cette Europe naguère si bruyante et si vivace, et, sous la main de Dieu qui nous conduit sans doute où il lui plaît, on ne voit guère s’agiter, au lieu de vrais musiciens, que des talens médiocres et de pauvres ouvriers de la pensée, comme on disait du temps où les sophistes parlaient, en 1848. L’Italie, l’Allemagne et la France, les seules contrées où la musique moderne a pris naissance et s’est développée sous les trois principales formes qui la caractérisent,— la mélodie vocale, la symphonie et l’art dramatique,— se taisent, languissent, et attendent qu’il vienne un de ces hommes prédestinés chargés d’annoncer la bonne nouvelle. D’où surgira-t-il cet élu du Seigneur ? Non si sa. Mais, qu’il vienne du levant ou du ponant, il sera le bienvenu, s’il nous délivre de cette tourbe de médiocrités vaniteuses qui nous assourdissent de leurs insolentes clameurs. Au milieu de cette Gomorrhe ravagée par le péché, il nous reste d’ailleurs encore quelques justes qui ont conservé la foi en le Dieu d’Israël, et en première ligne l’auteur de Robert et des Huguenots.

Un nouveau changement s’est opéré dans la direction de l’Opéra. M. Grosnier, ancien directeur du théâtre de l’Opéra-Comique, a été nommé administrateur général de l’Académie impériale de musique, avec pleins pouvoirs d’agir comme il l’entendrait. M. Grosnier aura fort à faire s’il veut redonner un peu de vie à ce grand corps qui tombe et à cette voix qui s’éteint. Pour le moment, nous n’avons à signaler que la réapparition à l’Opéra de Mlle Cruvelli, qui est revenue comme elle s’en était allée, sans rime ni raison. Le public, c’est-à-dire les auditeurs, car il n’y a plus de véritable public dans aucun théâtre de Paris, ont fait semblant de ne pas la connaître et l’ont laissé chanter le rôle de Valentine des Huguenots aussi gauchement que par le passé. M. Gardoni, cet agréable et jeune ténor qui fut enlevé jadis comme la belle Hélène, et dont la conquête a failli brouiller la France avec l’Autriche, est revenu aussi pour quelques mois seulement à l’Opéra, où il n’a jamais obtenu qu’un succès d’estime. Sa voix plus gracieuse que forte, et dont les sons grêles et fiévreux inquiètent constamment l’oreille, n’a gagné ni en volume ni en flexibilité. Il a chanté convenablement le rôle de Fernand de la Favorite, où Mme Stoltz retrouve, au quatrième acte, les inspirations d’autrefois. On prépare la mise en scène d’un opéra en cinq actes, de la composition de M. Verdi. Ce sera un événement qui ne peut manquer d’intéresser les partisans aussi bien que les adversaires du trop célèbre maestro.

Au théâtre de l’Opéra-Comique, les choses vont toujours