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nous osons conjecturer dans des matières si délicates, être arrivé à cette sérénité qui s’achète par tant de souffrances et de déceptions, mais qui ne manque jamais d’être le partage et la récompense des natures nobles et élevées.

Dans la jeunesse, à l’époque où l’on est tout amour, foi et espérance, et où les trois vertus théologales forment pour ainsi dire le fonds de notre être moral, à cet âge merveilleux et rapide où l’on ignore ce que c’est que le mal, où les passions ne sont pas encore des vices et présentent un aspect charmant, certaines âmes se font une idée trop haute de la vie et de ce qu’elle peut être ; mais le désenchantement, qui ne manque jamais d’arriver, et la triste certitude qu’elles ne manquent jamais d’acquérir, que les rêves ne sont que des rêves, n’ébranlent cependant pas toujours en elles la fidélité aux croyances qui ont fait leur vie. Ces croyances font encore leur orgueil, ne pouvant plus faire leur mobile d’action, et leur ouvrent les sources de la consolation et de la paix. Ces âmes pèsent leurs illusions d’autrefois contre les réalités d’aujourd’hui : les premières n’existent pas, mais elles sont plus belles ; les secondes existent, mais elles sont difformes. Alors elles arrivent à se dire qu’en définitive elles ne s’étaient pas trompées. Elles reconnaissent et avouent sans hésiter qu’elles ne rencontrent nulle part leurs idées, mais peut-être parce qu’elles n’étaient faites que pour elles. Elles gardent donc leurs chères utopies, refusent d’y renoncer, et permettent au monde d’agir et de penser autrement qu’elles. Les personnes qui arrivent à cet état moral conservent toute leur jeunesse d’âme sans l’intolérance de tempérament de la jeunesse. Elles consentent à voir le monde marcher autrement qu’elles ne l’avaient souhaité. Elles se résignent à ne pas voir triompher leurs idées. Elles restent en paisible possession de leurs croyances sans troubler celles d’autrui. Elles sourient d’elles-mêmes et de leur persistance à croire encore à des choses auxquelles tout le monde a renoncé. De là l’air de noblesse et la suprême distinction qui s’attache aux personnes qui sont arrivées à cet état moral, et que vous ne retrouverez jamais ni chez l’ambitieux fourvoyé, ni chez l’homme vulgaire et sensuel désabusé, ni chez le renégat versatile qui met ses apostasies sur le compte de l’expérience et des années.

L’impression générale que nous avons gardée du livre de M. Ruffini nous fait croire qu’il a été écrit dans de telles dispositions morales. L’auteur est toujours un libéral, s’il n’est plus républicain ; il croit toujours au bien comme dans sa jeunesse, s’il ne croit plus aux sociétés secrètes ; il ne renie aucun de ses premiers rêves, ce sont les moyens qu’il a employés pour les réaliser qu’il condamne. Il est aisé de voir que si par un miracle M. Ruffini pouvait rétrograder, il