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qui existait avant la guerre. Son armée occupe ostensiblement les principautés comme alliée de la Turquie, de la France et de l’Angleterre. Il y a mieux : si on a dû éprouver quelque surprise de la décision par laquelle elle a décliné toute pensée de guerre actuelle contre la Russie, des faits récens montrent que ce n’était point là l’indice d’un changement de politique. Une proclamation du commandant en chef des forces autrichiennes dans la Valachie, du général Hess, avait donné lieu à quelques interprétations fâcheuses ; des doutes s’étaient élevés au sujet de quelques faits qui semblaient transformer l’occupation en une sorte d’interposition armée entre les belligérans. Ces doutes se sont dissipés aux premières explications, et l’empereur François-Joseph a fait expédier au général Hess l’ordre de ne mettre aucune entrave aux mouvemens de l’armée turque sur Galatz et Ibraïla. Diplomatiquement, l’Autriche n’a point cessé de maintenir les garanties de paix du 8 août. Si, comme puissance allemande, elle est obligée de les restreindre dans les propositions à la diète, ainsi que l’atteste une circulaire adressée à ses représentans en Allemagne, afin de ne point engager une lutte avec la Prusse, — comme puissance européenne, elle reste fidèle à ces garanties. Dans une note adressée le 12 septembre à Saint-Pétersbourg, M. de Buol les considère encore, après le refus de la Russie, comme les seules qui eussent pu conduire, dans les circonstances actuelles, à une paix solide et durable. Il réserve les efforts et l’action de l’Autriche pour un moment où elle pourra avec plus d’efficacité les faire valoir dans l’intérêt d’une solution telle qu’elle convient aux besoins de l’Europe. Ceci n’exclut pas, comme on voit, toute pensée de guerre à un moment donné. Cependant plus on accumule les preuves de l’acquiescement moral de l’Autriche à la politique occidentale, moins le système d’action adopté par elle devient explicable. C’est justement parce qu’il y avait une certaine contradiction entre la politique avouée de l’Autriche et ses actes, que l’Europe a reçu avec quelque surprise une déclaration d’immobilité au moment même où venaient d’être repoussées avec hauteur des conditions que le cabinet de Vienne proclamait indispensables au rétablissement de la paix. Si l’heure n’est point venue de coopérer à la lutte commune par ces efforts et cette action dont parle M. de Buol, on peut se demander quand elle viendra, et si l’importance de l’Autriche ne se trouvera point diminuée dans une situation nouvelle qu’elle n’aura contribué à créer que par une expectative bienveillante, mais circonspecte. Tout cela est vrai aujourd’hui comme il y a quinze jours. La situation n’a pas changé ; elle peut changer d’un instant à l’autre, et c’est alors que l’Autriche pourrait regretter de n’avoir pas pris au moment voulu une attitude plus décidée.

Le motif qui a retenu, qui retient encore l’Autriche, ce n’est point sans doute un sentiment de considération pour la Russie, qu’elle sait bien avoir irritée profondément : c’est la défaillance de la Prusse, tout occupée à faire partager ses incertitudes à l’Allemagne. On ne saurait certes imaginer un rôle plus triste et plus incompréhensible que celui de la Prusse. C’est le rôle d’une puissance qui passe son temps à épuiser en contradictions et en inconséquences un crédit chaque jour moins efficace. Elle a donné son adhésion à des protocoles dont elle déchue les conséquences. Elle a signé avec l’Autriche un traité spécial dont elle se couvre justement pour ne rien faire et pour em-