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catacombes, au pied des Pyrénées une chapelle côtoyée par des eaux limpides qui fuient sous un pont voilé de lierre; il y a sur les côtes de Bretagne des grèves mélancoliques où mes souvenirs retournent avec un charme infini, surtout quand l’heure présente est triste et l’avenir inquiet. J’ajouterai Burgos à ces pèlerinages de ma pensée qui me consolent quelquefois du pèlerinage douloureux de la vie. Souffrez donc que j’embrasse d’un dernier regard l’ensemble de la cathédrale, que je m’agenouille dans le radieux sanctuaire, devant la Vierge du retable, et si la prière d’un catholique vous scandalise, ne m’écoutez pas. — O Notre-Dame de Burgos, qui êtes aussi Notre-Dame de Pise et de Milan, Notre-Dame de Cologne et de Paris, d’Amiens et de Chartres, reine de toutes les cités catholiques, oui, vraiment, « vous êtes belle et gracieuse, » pulchra es et decora, puisque votre seule pensée a fait descendre la grâce et la beauté dans ces œuvres des hommes. Des barbares étaient sortis de leurs forêts, et ces brûleurs de villes ne semblaient faits que pour détruire. Vous les avez rendus si doux, qu’ils ont courbé la tête sous les pierres, qu’ils se sont attelés à des chariots pesamment chargés, qu’ils ont obéi à des maîtres pour vous bâtir des églises. Vous les avez rendus si patiens, qu’ils n’ont pas compté les siècles pour vous ciseler des portails superbes, des galeries et des flèches. Vous les avez rendus si hardis, que la hauteur de leurs basiliques a laissé bien loin les plus ambitieux édifices des Romains, et en même temps si chastes, que ces grandes créations architecturales, avec leur peuple de statues, ne respirent que la pureté et l’immatériel amour. Vous avez vaincu jusqu’à la fierté de ces Castillans qui abhorraient le travail comme une image de la servitude; vous avez désarmé un grand nombre de mains qui ne trouvaient de gloire que dans le sang versé; au lieu d’une épée, vous leur avez donné une truelle et un ciseau, et vous les avez retenus pendant trois cents ans dans vos ateliers pacifiques. Notre-Dame, que Dieu a bien récompensé l’humilité de sa servante ! et en retour de cette pauvre maison de Nazareth, où vous aviez logé son fils, que de riches demeures il vous a données ! »

Citer de telles pages est sans doute le meilleur moyen de faire apprécier cet esprit à la fois si austère, si ardent, si gracieux et si doux; mais le portrait de M. Ozanam ne serait pas complet si nous n’insistions sur quelques traits caractéristiques de sa physionomie qui lui gagnaient des sympathies dans les camps les plus divers. L’auteur du Pèlerinage au pays du Cid était, on le sait, un catholique très pieux, catholique non pas seulement de parade, mais de pratique sévère et constante. Les travaux les plus ardus de l’intelligence n’avaient altéré en rien la candeur et la ferveur de sa foi. C’était précisément ce mélange d’une érudition solide et d’un sentiment religieux empreint d’une sorte d’exaltation juvénile et poétique qui donnait aux leçons du professeur un attrait tout particulier. Dans la vie ordinaire, la piété de M. Ozanam n’offrait aucune de ces nuances d’aigreur ou de sécheresse qu’elle présente quelquefois quand elle s’unit à des caractères qui ne sont pas foncièrement bons : elle ne produisait chez lui qu’un redoublement d’aménité et de grâce. Doué d’un esprit très fin et qui aurait pu facilement l’entraîner jusqu’à la causticité, M. Ozanam n’allait jamais au de la d’une certaine gaieté inoffensive qui rendait sa conversation piquante sans la rendre blessante pour personne, pas même pour les absens. On a dit souvent que le catholicisme est une grande école de respect. Ce principe, qui n’est pas toujours observé dans les