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interprète de la vie, il n’a pas de rival. Quoi qu’on puisse penser des formes qu’il a choisies et reproduites, l’évidence commande de confesser qu’avant lui personne n’avait exprimé la vie avec autant d’énergie. Ce n’est pas d’ailleurs qu’il transcrive la réalité telle qu’il l’aperçoit, il s’en garde bien; il sait que le pinceau le plus habile ne dispose pas des mêmes ressources que la nature. Aussi n’essaie-t-il pas d’engager une lutte où il serait vaincu; mais, désespérant d’atteindre à la beauté harmonieuse et pure dont les maîtres d’Italie lui ont offert le plus parfait modèle, ou peut-être entraîné par sa propre nature, il s’attache résolument à l’expression de la vie.

Ses deux élèves les plus célèbres, Van Dyck et Jordaens, ont cédé à l’ascendant de son génie et suivi la même voie selon la mesure et le caractère de leurs facultés personnelles. Van Dyck, en appliquant les leçons de son maître, s’est souvent montré plus élégant, plus noble que lui. S’il ne possède pas la même abondance, s’il n’apporte pas dans l’invention autant de vigueur et de spontanéité, — Pour tout dire en un mot, s’il lui cède le pas dans le domaine poétique, — il lui arrive d’imiter la nature avec plus de finesse. Jordaens engage avec la réalité une lutte plus obstinée, mais en même temps plus imprudente. Parfois il échoue, parfois il réussit, et quand le succès couronne ses efforts, il demeure encore bien au-dessous du maître. Plus réel, plus exact, plus littéral, il ne rencontre jamais la splendeur harmonieuse de Rubens. Quelques ignorans pourtant le proclament supérieur à son maître. Ces deux exemples suffisent pour marquer l’action exercée sur le développement de la peinture par le chef de l’école flamande. Tous les noms que je pourrais citer m’obligeraient à répéter ce que je viens de dire. Il faut donc nous en tenir à Van Dyck et à Jordaens.

L’action de Rubens a-t-elle été salutaire ? A-t-elle agrandi, a-t-elle amoindri le domaine de l’art ? Van Dyck et Jordaens se chargent de répondre à cette question. Les esprits fins et délicats ont mis à profit les élémens nouveaux; les esprits d’une nature vulgaire les ont employés sans en comprendre le danger et ont exagéré ce que le maître avait dit : c’est le sort commun de toutes les doctrines. Il se rencontre pour recueillir la parole, pour écouter les enseignemens des hommes illustres, tantôt des auditeurs pénétrans, tantôt des disciples dociles, mais incapables d’interpréter les leçons qu’ils ont entendues. Van Dyck représente le côté salutaire, le côté fécond de l’action exercée par Rubens; Jordaens en représente le côté périlleux. Je ne conçois pas d’autre manière d’exprimer le sens historique de Rubens.

J’arrive maintenant au rang qu’il faut lui assigner. Après les cinq grands maîtres de l’Italie, après Léonard de Vinci, Michel-Ange,