Ou-tchang-fou occupe au centre de la Chine une position très importante; c’est une immense place de commerce. Par le Yang-tse-kiang et par les rivières ou canaux qui aboutissent au grand fleuve, elle communique avec la plupart des provinces. En face d’elle sont situées deux villes très considérables : Han-yang, que nous venons de quitter, et un peu plus au nord, Han-keou. D’après M. Huc, ces trois cités contiendraient ensemble une population de huit millions d’âmes. Je reproduis cette évaluation, parce que, venant d’un témoin oculaire, elle justifierait les calculs qui ont été produits sur l’énorme population du Céleste-Empire, calculs que beaucoup de bons esprits ont regardés comme exagérés. Huit millions d’habitans dans trois villes dont une seule est capitale de province ! huit millions agglomérés dans un étroit espace, pressés sur les deux rives d’un fleuve, étouffés dans un amas de petites maisons ou dans des milliers de bateaux! pourquoi alors n’admettrait-on pas le chiffre de 333 millions indiqué en 1794 par lord Macartney et celui de 361 millions qui, suivant M. Huc, résulterait des derniers recensemens opérés sous la dynastie mantchoue ? « Lorsque les Hollandais vinrent la première fois à la Chine, écrivait Le Gentil en 1716, ils demandèrent si les femmes y mettaient au monde vingt enfans à la fois, tant la multitude du peuple les surprit. Pour moi, j’aurais fait volontiers la même question. Cette foule n’est pas seulement remarquable dans les villes, elle l’est encore dans les campagnes et dans les moindres bourgs. J’approuve fort l’idée d’un voyageur qui dit que l’empire de la Chine est une grande ville qui a douze cents lieues de circuit. » Et en effet cette prodigieuse population de la Chine a de tout temps émerveillé les voyageurs qui ont visité ce curieux pays. On rencontre bien dans certaines régions des terrains vagues d’une assez grande étendue, et M. Huc reconnaît que parfois, dans les provinces du sud, on croirait voyager au milieu des déserts de la Tartarie; mais ces vides sont largement compensés par l’exubérance de population qui couvre les bords des fleuves, des canaux et des lacs ou qui habite les nombreuses villes de bateaux. Comment nourrir ces multitudes entassées ? Conçoit-on les ravages qu’une récolte insuffisante ou seulement une inondation qui arrête les transports doit produire dans les provinces intérieures ? Aussi l’agriculture est-elle particulièrement honorée, et ce n’est pas en vain qu’une tradition vieille de trente siècles ramène chaque année, vers la fin du mois de mars, la cérémonie du labourage où le souverain conduit la charrue et trace le premier sillon dans le champ sacré. L’empereur Khang-hi a rangé
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