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On augmente la ration à mesure qu’ils grossissent. Le développement de ces poissons s’opère avec une rapidité incroyable. Un mois tout au plus après leur éclosion, ils sont déjà pleins de force, et c’est le moment de leur donner de la pâture en abondance. Matin et soir, les possesseurs de viviers s’en vont faucher les champs et apportent à leurs poissons d’énormes charges d’herbe. Les poissons montent à la surface de l’eau et se précipitent avec avidité sur cette herbe, qu’ils dévorent en folâtrant et en faisant entendre un bruissement perpétuel ; on dirait un grand troupeau de lapins aquatiques. La voracité de ces poissons ne peut être comparée qu’à celle des vers à soie quand ils sont sur le point de filer leur cocon. Après avoir été nourris de cette manière pendant une quinzaine de jours, ils atteignent ordinairement le poids de deux ou trois livres, et ne grossissent plus. Alors on les pêche, et on va les vendre tout vivans dans les grands centres de population. » Ainsi, dans cette branche si intéressante d’industrie, où nous sommes encore aux tâtonnemens, aux essais, aux expériences de laboratoire, les Chinois auraient depuis longtemps obtenu des résultats définitifs, et la pisciculture serait chez eux un fait accompli ! Nous savions déjà que cet étrange peuple, avec son génie simple et pratique et son esprit d’observation, nous a devancés de plusieurs siècles dans la carrière des découvertes. Avant nous, les Chinois ont inventé la poudre, la boussole, l’imprimerie, bien d’autres choses encore. À cette liste, qui serait longue, il faut ajouter l’art de fabriquer le poisson, et dans un pays qui a trois cents millions d’habitans à nourrir, c’est une découverte de premier ordre. Le poisson, qui abonde d’ailleurs sur les côtes et dans les eaux intérieures de la Chine, occupe une large place dans l’alimentation du peuple.

De Nan-tchang-fou, nos voyageurs allaient se rendre directement à Canton. Le gouverneur du Kiang-si pourvut avec une grande libéralité à tous les préparatifs de leur départ. Comme ils devaient faire route par eau, il leur procura deux magnifiques jonques, l’une pour eux, l’autre pour les mandarins et les gens de la suite; en outre une jonque de guerre leur était donnée comme conserve. Quant aux approvisionnemens, ils étaient mis à la charge des villes où la flottille allait passer; chacune de ces villes avait ordre de donner aux missionnaires, pour le service de leur table, un tribut de 5 onces d’argent (environ 50 francs). Aussi M. Huc ne manque-t-il pas de louer hautement la générosité des mandarins de Nan-tchang-fou, et il fait connaître à ce sujet la maigre pitance que le gouvernement chinois alloue au colonel russe qui, tous les dix ans, conduit la légation du tsar de Kiakhta à Pékin. Voici de quoi se compose la ration : — Par jour un mouton, une tasse de vin, une livre de thé, une cruche de