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réhabilitation éclatante de tous nos martyrs à la face de tout l’empire, une amende honorable insérée dans la Gazette de Pékin, enfin un monument expiatoire sur la place publique de Ou-tchang-fou, où M. Perboyre avait été étranglé en 1840. De cette manière, la religion chrétienne eût été glorifiée à jamais dans tout l’empire, les chrétiens relevés dans l’opinion publique, et la vie des missionnaires rendue inviolable. » Je suis convaincu que M. Huc aurait bravement envoyé à Ky-ing cet ultimatum : divers épisodes de son voyage attestent qu’il ne se refuse rien avec les mandarins; mais je suis convaincu aussi que le tartare Ky-ing n’aurait jamais consenti à discuter sur de pareilles bases, et qu’il eût rejeté bien loin et la réhabilitation éclatante, et les excuses au Moniteur de Pékin, et le monument expiatoire; puis, la question étant ainsi engagée, non-seulement il n’y aurait pas eu de traité de commerce, et la mission aurait éprouvé un échec complet à la face du monde entier, mais encore il y aurait eu rupture entre les deux gouvernemens, et la France, pour soutenir sa parole, se serait vue obligée de déclarer la guerre à la Chine! Voilà, si je ne me trompe, où nous aurait menés la politique de M. Huc. Je persiste à croire que l’ambassade de 1844 a été beaucoup mieux inspirée, dans l’intérêt même des missions catholiques. Par l’édit de 1844 et par la notification de 1845, nous avons obtenu une satisfaction morale. Devons-nous maintenant nous en tenir à ce résultat, si incomplet qu’il soit, ou bien faut-il ouvrir à coups de canon l’entrée de la Chine, et faire une croisade dans l’extrême Orient ? La question se pose en ces termes absolus. On n’est pas maître de la restreindre, car la France ne saurait s’en tenir à de simples menaces, et la guerre sortirait nécessairement d’une menace bravée ou d’une réclamation repoussée. Tous les gouvernemens qui se sont succédé en France ont jugé que la religion ne devait pas être prêchée, ni même vengée par les armes; fidèles aux principes du droit international, ils ont laissé au gouvernement chinois la libre exécution de ses règlemens intérieurs, ainsi que la faculté de tolérer ou d’interdire la prédication et l’exercice d’une religion étrangère. Il serait superflu de justifier cette politique. Je me borne à faire observer, en terminant, que MM. Huc et Gabet ne seraient peut-être point revenus à Canton, si le traité de 1844 n’avait imposé au gouvernement chinois l’obligation de remettre entre les mains des consuls les sujets français, missionnaires ou autres, arrêtés dans les provinces de l’empire où la circulation est interdite aux étrangers. Il n’est donc pas juste de prétendre que les efforts de la diplomatie sont demeurés complètement stériles.

Je ne saurais aborder ici les nombreuses questions traitées par M. Huc dans sa description de l’empire chinois; l’honorable missionnaire a pu étudier toutes les faces de son vaste sujet pendant quatorze années d’apostolat. Un séjour aussi prolongé dans les