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Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 8.djvu/306

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au Saint-Sépulcre et s’entretiennent de la mort du Christ avec une pieuse douleur. Sainte Véronique survient et joint ses larmes à leurs plaintes ; ils arrivent au tombeau, ils s’agenouillent, et un ange paraît qui leur annonce la résurrection prochaine du Sauveur. Il n’y a pas là d’action ; ce sont des groupes plutôt que des drames ; on dirait quelque tableau de fra Angelico dont les personnages prennent tout à coup une voix. Le charme de ces œuvres enfantines, c’est la tendre naïveté de l’inspiration. Eh bien ! ce même poète si doux, si religieux dans ses pastorales évangéliques, il écrit aussi des pièces profanes, et tantôt ce sont de ces bouffonneries qui deviendront plus tard les entremeses de Lope et de Calderon, tantôt ce sont de romanesques aventures, de galantes histoires d’amour comme dans l’œuvre qu’il a intitulée Fileno y Zambardo. De l’inspiration monacale à l’inspiration mondaine la distance n’était pas longue pour des poètes qui obéissaient si fidèlement à tous les instincts de leur âme.

Un événement littéraire qui appartient à la période de Juan del Encina contribua singulièrement à répandre le goût des peintures profanes sans diminuer pour cela le nombre des pièces religieuses : la Célestine venait de paraître, l’année 1500, à Salamanque. On connaît le ton de ce bizarre ouvrage ; on sait de quelles vives couleurs il peint les folies, les égaremens, les misères de la passion, si bien qu’on oublie souvent le cynisme du sujet pour ne voir que l’esprit et la fine observation des détails. Déjà au XIVe siècle Jean Ruys, l’audacieux archiprêtre de Hita, avait emprunté les mêmes tableaux à une comédie latine du moyen âge, comédie faussement attribuée à Ovide, et qui rappelle plutôt les lubriques inventions de Pétrone. L’auteur de la Célestine ne mit pas en vers le Pamphilus qui avait inspiré Jean Ruys ; il en fit un roman, moitié récit, moitié dialogue, qui exerça une grande influence sur la littérature dramatique. Tandis que des pastorales religieuses comme celles de Juan del Encina continuent d’édifier les fidèles à la fête de Noël ou du Saint-Sacrement, ne vous étonnez pas si les auteurs de ces naïfs autos sacramentales commencent à peindre librement toutes les péripéties des aventures galantes ; la Célestine est là qui leur fournit des modèles. J’ai comparé ces pastorales de Juan del Encina aux compositions du pieux dominicain de Fiesole ; ce qu’il y a d’étrange pour nous, et ce qui est pourtant bien espagnol, c’est de voir réunis dans une même personne le peintre naïf de l’Italie du XIVe siècle et le poète licencieux du XVIe, Orgagna et le cardinal Bibiena, fra Angelico et Machiavel !

Quelquefois ce mélange se produit, non-seulement chez le même écrivain, mais, chose plus piquante encore, dans le même ouvrage. Gil Vicente nous fournit là-dessus de curieux renseignemens. Gil Vicente, poète portugais, appartient à l’histoire du théâtre espagnol, et par l’influence qu’il a exercée à Madrid, et par les pièces castillanes qu’il a écrites. À la fois auteur dramatique et acteur, il obtint de glorieux succès vers la fin du XVe siècle, et s’éleva bientôt à une réputation européenne : Érasme apprit le portugais, dit-on, uniquement pour lire ses comédies. Gil Vicente est le premier qui donna le nom d’autos à ses compositions religieuses ; il en faisait de deux sortes, les unes — espèces d’églogues sacrées comme les pastorales de Juan del Encina, les autres plus compliquées et représentant des allégories mystiques. Or ces