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ruines actuelles, et M. Fulgence Fresnel partage la même opinion. Au reste, le Moudjelibéh, le Kasr, le tumulus d’Amran-ibn-Ali, et tout cet énorme amas de ruines qui couvrent la rive gauche de l’Euphrate représentent assez le cadavre de la double capitale d’un double empire, qui, à travers différentes révolutions, aurait duré près de deux mille ans. M. Oppert a reconnu l’emplacement des jardins suspendus de Sémiramis, et a fouillé leurs ruines, connues aujourd’hui sous le nom de la colline d’Amran-ibn-Ali. Dans ces fouilles, il a recueilli un grand nombre d’objets qui vont enrichir les collections du Louvre, et ses observations lui ont permis d’essayer une restauration ingénieuse, mais tant soit peu conjecturale, de ces jardins si fameux. Le savant explorateur a terminé avec beaucoup de soin et à travers mille difficultés le relèvement trigonométrique de l’emplacement de Babylone. Cette opération lui a permis de dresser le plan détaillé de cette ville immense, qui présentait un carré de 23 kilomètres de côté. Il est vrai que des champs cultivés, destinés à garantir sa population des horreurs d’une famine en cas de siège, étaient compris dans cette enceinte, et que la ville proprement dite ne couvrait guère qu’une superficie de 20 kilomètres carrés, c’est-à-dire environ la moitié de l’espace occupé aujourd’hui par Paris. C’est sur l’emplacement de ces ruines et au bord de l’Euphrate qu’est bâtie la ville florissante de Hillah.

La résidence royale, qu’il ne faut pas confondre avec la ville habitée, hors de laquelle elle était située, était renfermée dans une grande enceinte fortifiée, et constituait à elle seule une véritable ville entourée d’une triple muraille, l’une en briques cuites avec du bitume, les deux autres en briques crues, et couvrant sur les deux rives de l’Euphrate un espace de près de 7 kilomètres carrés. Là étaient réunis le palais, la forteresse et les fameux jardins suspendus. Le Birs-Nimroud (la tour de Babel), cette ruine la plus importante de la contrée, était placée dans le quartier le plus éloigné du centre de la ville, qui s’appelait jadis Borsippa. Ce monument et ce quartier étaient distans de l’enceinte royale de plusieurs lieues, c’est-à-dire deux ou trois fois la distance peut-être de l’Arc de triomphe de l’Étoile et du quartier environnant au quartier central de la Cité.

Le panorama suivant, esquissé sur place par M. Oppert, et que nous extrayons d’une lettre qu’il nous adressait de Bagdad l’an dernier, fait connaître avec toute la netteté désirable la configuration de la région babylonienne, son état présent et même son état passé. « C’est du minaret[1] de Hillah que se présente le mieux, dit M. Oppert, le panorama de la Babylone actuelle. En se tournant vers le sud-ouest, on aperçoit d’abord la masse gigantesque du Birs-Nimroud, le Borsippa et Borsiph des anciens Grecs et Juifs.

  1. M. Oppert nous a raconté qu’il était monté sur le minaret de Hillah, accompagné d’un janissaire et avec la permission du pacha. Six semaines après son ascension, le croissant mal raccommodé tomba pendant un violent orage. On ne manqua pas d’attribuer cet événement au chien de giaour, qui avait écrit des formules d’imprécations sur le minaret ; « mais, ajoutait M. Oppert, ces messieurs, ayant déjà eu l’occasion de faire ma connaissance, se bornaient à soupirer sur ma scélératesse en prenant le café et en fumant la pipe, et je leur laissai cette innocente distraction. Du reste, le minaret étant sunnite et eux schiites, ils semblaient enchantés au fond de ce tour joué aux Turcs, qu’ils craignent énormément. »