un conspirateur peu dangereux ; il a plus fait contre l’Autriche par un petit
livre que par aucune conjuration. C’est que ce livre était l’expression d’une
plainte sans fiel, d’une résignation sans amertume ; c’était le récit d’une
âme en qui la piété avait étouffé, non pas tout souvenir, mais tout ressentiment
violent. Ce livre des Prisons, qui a fait sa gloire, Silvio Pellico ne put
le mettre au jour sans rompre presque avec ses amis d’autrefois, qui lui reprochaient
de trahir le libéralisme, et qui s’effrayaient surtout de ses tendances
religieuses. La piété en effet, une piété fervente et sincère, c’est là ce
qui remplit les vingt dernières années de la vie de Silvio Pellico. On lui avait
proposé, à sa sortie du Spielberg, de venir en France, en lui assurant une
position ; il refusa. La captivité avait visiblement développé en lui un goût
douloureux de solitude. Entré bientôt dans la maison de la marquise Barolo
plutôt comme ami qu’à tout autre titre, il ne fut plus partagé qu’entre le
soin d’une santé épuisée, des travaux peu suivis, et des pratiques religieuses
chaque jour plus assidues. Il avait trouvé la vie simple et calme qui lui convenait.
« Je lis, dit-il dans une lettre, je pense, j’aime mes amis, je ne hais
personne, je respecte les opinions d’autrui, et je conserve les miennes : voilà
ma vie, qui n’est pas sans douleurs, mais qui n’est pas non plus sans consolations !
» Dans le redoublement de sa foi et de ses pratiques religieuses, Silvio
Pellico avait-il abdiqué ses espérances nationales et libérales d’autrefois ?
L’illusion s’en était allée, le fond de la conviction était resté. « L’âge, disait-il,
en mûrissant mes opinions, les a modifiées sans en changer la substance.
» Seulement il bornait le devoir patriotique à une sorte de résistance
intime et passive. Il tenait principalement à se séparer des révolutionnaires
et en général de tous les esprits exclusifs. En 1848, son vœu eût été dans
l’accord des princes italiens : « Vœu certainement juste, ajoutait-il, mais
inutile comme beaucoup d’autres bons désirs ! » Lors des premières élections
dans le Piémont, il eût accepté peut-être de représenter Saluces, son pays
natal ; on ne le nomma pas, et quand plus tard on lui offrit la candidature,
il n’était déjà plus temps, ses forces déclinaient rapidement. Ce n’était point
son rôle d’ailleurs ; son rôle était celui d’une victime aux yeux du monde,
même lorsque ce mot n’exprimait plus rien de réel depuis longtemps. Comme
homme, Silvio Pellico reste le type d’une résignation douce et attendrie que
le malheur n’a fait que dégager en la marquant de l’empreinte chrétienne.
Comme poète, ce n’est point un génie supérieur, mais il a eu des inspirations
pleines de suavité et de grâce qu’il faut aller chercher moins dans ses
tragédies que dans ses fragmens lyriques. Par ses opinions aussi bien que
par son talent poétique, Silvio Pellico était d’une génération déjà plus qu’à
demi disparue ; il se rattachait à un mouvement littéraire qui a eu le temps
de se renouveler plusieurs fois en Italie, et qui est venu malheureusement
aboutir à une certaine confusion.
ch. de mazade.
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