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renfermaient prudemment dans leurs limites ; on ne les voyait point mettre le pied sur la rive droite du Danube, tant l’épée des Goths leur faisait peur. Oh ! dans ce temps-là ils étaient les fédérés, les bons amis du peuple romain ; tes devanciers, ô empereur, leur envoyèrent beaucoup d’argent, et toi-même tu as été magnifique à leur égard. Sans doute qu’ils payaient vos bienfaits par de grands services ? Par aucun, ni grand ni petit. Il est vrai qu’ils ne vous faisaient point de mal ; mais comment vous en auraient-ils fait ? Vous aviez renoncé à vos anciens droits sur le territoire qu’ils habitent à la gauche du Danube, et les Goths les contenaient sur la rive droite ! C’est un beau service en vérité que celui qui provient de l’impuissance de nuire, et on peut fonder dessus une amitié bien solide !

« Maintenant voilà tes Goths chassés de toute la Pannonie, et vous, Romains, embarqués dans des guerres lointaines, vous envoyez vos armées aux extrémités de l’univers. Que font les Gépides ? Ils vous attaquent, ils vous pillent, ils envahissent votre province. Les paroles nous manquent pour qualifier une pareille scélératesse, qui n’attente pas seulement à la majesté de votre empire, mais qui viole les lois les plus saintes de l’amitié et les stipulations de votre alliance. O empereur, les Gépides t’enlèvent Sirmium, ils traînent les habitans romains en servitude, ils se vantent de dominer bientôt la Pannonie tout entière ! Comment donc ont-ils gagné les terres dont ils sont maîtres ? Est-ce par des victoires remportées pour vous, ou avec vous, ou contre vous ? Au prix de quelle bataille ce pays leur est-il tombé dans les mains ? C’est peut-être comme un supplément aux subsides que vous leur avez si longtemps payés pour être vos amis !

« Non, depuis qu’il existe des hommes, on n’a rien vu de plus impudent que l’ambassade qu’ils t’adressent, ô empereur ! Sachant que nous leur préparons une rude guerre, ils accourent près de toi ; ils se présenteront devant ton trône, et ils pousseront peut-être l’insolence jusqu’à te demander des secours contre nous qui sommes tes fidèles. Peut-être au contraire t’offriront-ils la restitution de ce qu’ils t’ont volé ; dans ce cas, fais honneur de leur bon sens tardif et de leur repentir aux épées des Lombards prêtes à sortir du fourreau, et daigne nous en remercier. De deux choses l’une : ou bien ils viennent te confesser leur repentir, et alors songe que ce repentir est forcé, ou bien, gardant ce qu’ils t’ont pris, ils viennent te demander encore davantage, et comprends qu’ils te font la dernière insulte que l’on puisse adresser à un homme.

« Nous te parlons là dans notre simplicité de barbares, rudement et sans l’éloquence que mériteraient de si grandes choses. Tu ajouteras à nos paroles ce qui leur manque, pesant dans ta sagesse les intérêts des Romains et ceux des Lombards. Tu songeras surtout à ceci : c’est qu’il est naturel que nous. Lombards et Romains, qui professons également le culte catholique, nous restions unis contre les Gépides, qui sont ariens, et par-là encore nos ennemis. »


Après ce discours, qui peut donner une idée de l’éloquence germanique au Vie siècle, les ambassadeurs des Lombards furent congédiés, et ceux des Gépides ayant été introduits le lendemain,