Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 8.djvu/443

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et ils ne le savaient pas eux-mêmes, si nous en devons croire un contemporain : rudes et ignorans en doctrine, mais bons chrétiens dans la naïveté de leur foi. Or leur évêque venait de mourir, et ils se demandaient avec inquiétude comment ils pourraient s’en procurer un autre, quand le bruit se répandit que les Abasges, peuple du Caucase nouvellement converti au christianisme, en avaient reçu un de Constantinople. Ce fut pour eux un trait de lumière, et une députation partit sans perdre de temps pour aller solliciter du grand empereur des Romains l’octroi d’un évêque à ses fidèles amis les Goths tétraxites.

Ces gens simples, admis à l’audience de Justinien, exposèrent en peu de mots l’objet de leur voyage, et l’évêque qu’ils demandaient leur fut gracieusement promis. Ils semblèrent ensuite vouloir reprendre la parole comme s’ils avaient quelque chose d’important à ajouter ; mais, en promenant leurs regards sur le cortège nombreux et brillant dont le prince aimait à s’entourer, ils s’arrêtèrent tout interdits. L’empereur, qui vit leur trouble, les invita à une autre conférence, secrète et intime cette fois. Les honnêtes ambassadeurs avaient voulu payer leur bien-venue à l’empereur et à l’empire en révélant certaines choses qui intéressaient grandement la politique romaine, et comme il s’agissait des Huns leurs voisins, les Goths avaient craint d’amener, en parlant devant tant de monde, des indiscrétions dont ils auraient plus tard à se repentir. Ouvrant alors leur cœur librement, ils peignirent à Justinien l’état des Coutrigours et des Outigours, leurs agitations intérieures, leur soif de l’or et les rivalités de leurs chefs, et firent sentir combien il serait facile et utile à l’empire romain de jeter la division parmi ces barbares, afin de les empêcher de se réunir contre lui. Justinien se croyait sûr des Coutrigours, qui touchaient de sa munificence une gratification annuelle, et il n’apprit pas sans dépit que ces faux alliés avaient promis d’assister les Gépides dans leur campagne contre les Lombards, et que le marché se concluait à l’époque même où les ambassadeurs de Thorisin sollicitaient si modestement sa neutralité. Les Goths tétraxites ne se bornèrent point à des révélations : ils offrirent les bons offices de leur république contre les Coutrigours dans la guerre, qui pouvait éclater au gré des Romains ; après quoi ils se retirèrent.

Le conseil fut trouvé bon, et tandis que les ambassadeurs goths regagnaient leurs montagnes de Tauride, des émissaires intelligens partirent de Constantinople pour les steppes où campaient les Outigours, au-delà du Caucase. Cette horde avait alors pour roi un certain Sandilkh, personnage envieux et cupide, chez qui la bassesse le disputait à la vanité. La seule idée que les Romains le dédaignaient, tandis que leurs caresses ainsi que leur argent allaient chercher le