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sommeil, une blessure de la main d’un ange. Le fait est que le pauvre père Girard, sous le coup d’une accusation de séduction, d’inceste spirituel, de magie et de sorcellerie, n’échappa au bûcher qu’à la majorité d’une voix, et cela pour avoir encouru le ressentiment de sa pénitente, qui n’avait pu en faire sa dupe.

On citerait facilement bien des exemples de mystifications du même genre dont ont été victimes les personnes les plus graves. Il faut en effet une grande habitude de ces sortes d’impostures pour échapper, lorsqu’on est déjà tourné vers la dévotion et le mysticisme, à l’influence qu’une piété apparente et une grâce surnaturelle exercent sur nous. Saint-Simon, dans ses Mémoires, a tracé avec beaucoup de vérité le portrait d’une de ces pieuses intrigantes qui se jouaient de leur directeur comme du public. Mlle Rose, que le cardinal de Noailles chassa de son diocèse. — Gerson, dans son Traité sur les vérités nécessaires au salut, par le d’une autre visionnaire de Savoie, dont le procès fut instruit à Bourg-en-Bresse. Cette femme se donnait pour l’une des cinq que Dieu avait choisies afin de racheter les âmes de l’enfer, et s’était jouée pendant longtemps de la simplicité et de la dévotion du clergé de son pays. — L’idée de simuler sur son corps ces mêmes plaies que le Christ reçut au Calvaire était déjà venue à un imposteur deux ans avant le miracle du mont Alverne. En 1222, on avait condamné au concile d’Oxford un personnage qui portait empreints aux pieds, aux mains et au côté les stigmates de Jésus-Christ. — Personne n’a oublié non plus la fameuse affaire de Rose Tamisier, qui occupa un tribunal du Vaucluse au mois de septembre 1851. Rose était depuis longtemps connue par sa vie mystique, et sa physionomie rappelle d’une manière frappante ce qu’on dit des extatiques stigmatisés. Elle portait sur la poitrine des stigmates qui rendaient du sang, imprimaient sur le linge qu’on y appliquait des images mystérieuses, et, au dire du curé de Saignon, ils dessinèrent un jour une figure de Vierge. Toutes les circonstances de cette étrange affaire ont dénoté en Rose Tamisier ce mélange de dévotion, de ruse, d’intrigue, que nous venons de remarquer chez les visionnaires. Toutes ces femmes sont de la même famille psychologique ; Rose Tamisier sort de la branche la plus vulgaire, tandis que Mlle Brohon appartient à la branche la plus distinguée; mais on doit appliquer à toutes le proverbe espagnol : Medio de loco y medio de picaro.

En dépit de la fraude évidente que décelait le miracle opéré par Rose Tamisier, les populations du Vaucluse et des départemens limithrophes ont été vivement frappées des récits débités sur son compte. Au lieu de la tenir pour une hypocrite, on a plaint Rose comme une martyre. En cela, les gens crédules subissaient visiblement l’influence des écrits mystiques colportés parmi eux. Ceux qui