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reconnaître une obligation de date plus vieille que ce droit nouveau, c’est-à-dire l’obligation du travail. Or je vois que, soit par paresse et incurie, soit par fatalité, désespoir ou impuissance, bon nombre d’hommes dans notre société échappent à cette obligation, ou sont incapables de la remplir, si personne ne leur vient en aide. La charité privée et la charité publique prodiguent inutilement leurs trésors pour secourir ces misères, et n’aboutissent à aucun résultat sensible autre qu’une satisfaction de conscience chez ceux qui ont donné. Ces misères et ces vices irrémédiables engendrent d’autres misères et d’autres vices; ces mendians gênent et empêchent de vivre toute une classe respectable à laquelle on doit laisser la liberté, celle qui ne s’est point abandonnée et qui lutte courageusement. J’agirai donc militairement à l’égard de ces populations déclassées, parce que j’ai reconnu que c’était l’unique moyen de leur être utile et d’accomplir le devoir qui me commande non-seulement de veiller à la conservation matérielle de la société, mais d’empêcher que le mal moral ne prenne chez elle de trop grandes proportions. Que fais-je lorsque je prends un jeune conscrit que j’arrache à sa charrue ou à son atelier ? Je le décrasse, je l’habille, je le nourris, je prends toutes les précautions possibles pour conserver sa santé et sa moralité, et en retour j’exige qu’il obéisse sans mot dire à mes ordres, et je l’y oblige par les moyens les plus sévères, par une discipline stricte, par la salle de police, par la prison, par le conseil de guerre. Grâce à cette méthode, je transforme en quelques mois ce lourdaud têtu, niais, indiscipliné; j’en fais un homme, et je lui communique quelques-unes des vertus les plus importantes de l’homme, le courage, la discipline, le sentiment de l’ordre, le sentiment de l’honneur, le patriotisme, l’esprit de corps, le dévouement. Ce que je fais pour garder les frontières et défendre le territoire de la patrie, je n’aurais pas le droit de le faire pour la défense de la société et pour la sauvegarde de la morale! Allons donc! je crois fermement que j’ai ce droit, et en tout cas je le prends. J’économiserai au budget des frais de bagne, de prison, de justice inutiles. Je n’attendrai plus avec patience que des gens sans aveu aient commis un crime ou un délit pour les châtier et me défaire d’eux. Tous ceux qui n’exerceront pas un métier reconnu, qui n’auront aucun moyen d’existence avouable, qui seront adonnés au vagabondage, tous ceux chez qui la mendicité sera une habitude constatée par un nombre de délits légalement déterminé, qui depuis plus d’un an n’auront pu, pour une cause ou pour une autre, se procurer un travail honnête, tous ceux-là seront recherchés, appréhendés, dépouillés de leurs haillons, enrégimentés militairement, condamnés à un travail forcé que je me chargerai et qu’il me sera facile de leur fournir. J’ai des terres à défricher, des