jetés le micmaque, comme aussi le demi-siècle de calme et de paix qu’ils devaient à la royauté avait effacé de leur mémoire les misères et les angoisses mortelles de la guerre de cent ans. Ils n’y voyaient plus que ces rêves d’indépendance qui les avaient bercés, ces joies de la vanité et de l’orgueil dont ils ne se rappelaient déjà plus les dures expiations. Ils auraient voulu retrouver dans le roi Louis cet ami discret et respectueux de la bonne ville qu’ils avaient rencontré dans le duc Philippe, et, sentant au contraire cette main de la royauté qui les maintenait toujours le plus près possible du cœur de la France, ils murmuraient et se révoltaient intérieurement. Ils montraient leur mauvais vouloir en se faisant lents dans les choses nécessaires, inertes dans les choses utiles, taquins dans les choses indifférentes, en se plaignant sans cesse, en résistant toujours jusqu’à ce qu’ils sentissent la première flamme de la colère du roi. Louis XI trouva bientôt un homme selon son cœur, et il envoya à ses très chers manans et habitans de Reims messire Raulin Cochinnart, qui, une fois capitaine de la ville, fit de ces si puissans et si rétifs bourgeois les plus dociles constructeurs de murailles qu’on pût voir.
Ce Cochinnart était une sorte de Richelieu sur un petit théâtre, un de ces esprits fermes et obstinés qui voient dans le lointain un but grand et noble, et qui y marchent droit sans s’arrêter devant nul obstacle et sans s’inquiéter des détails de l’exécution. — Dans les détails d’exécution rentrent nécessairement la vie et la fortune de ceux qui se trouvent sur le chemin. — Il avait reçu de son maître la mission de s’opposer au renouvellement de la guerre civile, en empêchant Édouard d’Angleterre de prendre par le sacre une apparence de légitimité. Il avait donc juré que Reims ne tomberait pas aux mains des Anglais, et quand il avait devant les yeux ce but, qui était pour lui le salut de la patrie, peu lui importaient les plaintes de Marguerite, veuve de Jehan Vakier, pillée par ses sergens, et les clameurs que faisaient pousser à toute la ville les voleries insignes commises par les Jehan Bresche, les Robinet Bresche, les Pernet Cabi et les autres gens de mauvaise vie qu’il employait à rendre malléable l’indocilité bourgeoise.
Sur ces entrefaites, c’est-à-dire en 1472, le pouvoir féodal sembla se réveiller du long sommeil où l’avaient tenu les derniers seigneurs de Reims. Le saint archevêque Jean Juvénal venait de mourir. Son successeur, Pierre de Laval, avait l’orgueil des grands barons ; il était Montmorency par les lignes paternelles, du sang de Bretagne par les femmes de sa maison ; neveu de Charles VII, cousin-germain de Louis XI, c’était un des plus grands seigneurs du royaume. Il arrivait sur le trône archiépiscopal, les yeux fixés sur la position que les seigneurs de Reims avaient occupée au XIe siècle, et il était décidé à faire reculer jusqu’à ces limites tous ceux qui, roi, abbés, bourgeois, avaient profité des malheurs des temps pour usurper les droits du patrimoine de saint Rémy. Fier et ferme, impatient et dédaigneux, il se trouvait au nombre de ceux qui poussent jusqu’à l’apogée de la puissance les pouvoirs jeunes et en chemin de monter, mais qui tuent sans retour les pouvoirs sur le déclin de la ruine. Il était né deux siècles trop tard ; la féodalité ne pouvait plus supporter un stimulant aussi énergique.
Raulin Cochinnart, en arrivant dans la ville, commença par attaquer en face le pouvoir féodal. Il commanda aux dizainiers et connétables de détruire