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membres, tous de bonne famille, bien élevés, intelligens, actifs, une secte ainsi constituée ne pouvait manquer de mener les choses bon train, surtout si nous tenons compte de la richesse du sol sur lequel elle avait à travailler. »

Cette richesse, c’étaient les causes de mécontentement qui existaient en Italie et surtout à Gênes, où dominaient deux sortes de haines, la haine de l’Autriche et la haine du gouvernement piémontais. Malheureusement cette dernière dominait dans les deux classes les plus nombreuses de la société, la vieille aristocratie et le peuple ; quelques hommes des classes moyennes et quelques jeunes nobles partageaient seuls la première. Cette animosité, que l’effet du temps et le règne de Charles-Albert ont amortie et à peu près éteinte, était naturellement une raison d’oppression nouvelle et une source d’obstacles sans cesse renaissans pour la nouvelle société. Les Italiens se trouvaient ainsi se haïr beaucoup plus qu’ils ne haïssaient les étrangers. Néanmoins, en dépit de ces obstacles, les ressentimens étaient assez nombreux pour fournir de nombreuses recrues à l’œuvre de Fantasio, et en peu de temps la société se grossit d’hommes appartenant à toutes les classes, nobles, légistes, fonctionnaires du gouvernement, marins, artisans, prêtres et moines. La bannière républicaine fut arborée, et tous la reconnurent comme la leur presque sans objection. Ce fait est assez singulier, et Lorenzo l’explique en disant qu’il n’y avait alors aucun prince italien auquel on pût se fier. Le pape était en dehors de la question. Il ne fallait pas penser aux princes de la maison de Bourbon, le roi de Naples et le prince de Lucques. Le duc de Toscane était un Autrichien, et le duc de Modène également, sinon par la naissance, au moins par les sentimens et la politique. Le roi de Sardaigne, Charles-Albert, était alors impopulaire. Il y a une dernière raison que Lorenzo ne donne pas : c’est qu’à cette époque tous les regards étaient tournés vers la France ; on s’attendait à y voir la république triompher avant peu, et les illusions libérales étaient poussées si loin, que le gouvernement constitutionnel lui-même ne semblait plus qu’une variété du despotisme. Ce sentiment, qui fut un moment général dans l’Europe entière, et qui s’est maintenu plus ou moins jusqu’à la révolution de 1848, — œuvre de cette illusion vieillie, arrivée alors, comme on put le reconnaître, à la décrépitude et au radotage, — influa plus peut-être que Lorenzo ne l’avoue sur cette facile acceptation du credo républicain.

Cependant tous les membres de la société n’étaient pas également républicains ; les révélations de Lorenzo à cet égard sont assez curieuses et expliquent certains tiraillemens qui ont eu lieu dans la politique des révolutionnaires italiens, surtout depuis 1848. « Tous ceux qui faisaient partie de la société n’étaient pas républicains par