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nouvelles choses, la méchanceté, le trouble survenus dans les volontés et les idées du temps présent. Il indique en effet qu’il vient enseigner trois choses, les modes fringantes, les paroles élégantes, les termes juristes, et il revient souvent sur cette idée de mots nouveaux, droits nouveaulx, modes et rhétorique nouvelles. En résumé, ces Droits Nouveaulx, véritable cours de galanterie trouvère, fort utile à comparer avec la galanterie des XVIIIe et XIXe siècles, ces Droits sont bâtis sur le modèle des livres de jurisprudence. C’est une réunion de statuts du droit canon et du droit naturel, le tout caricaturé d’une façon cynique, mêlé à des contes obscènes, à des règles qui conviendraient à une maison de prostitution, et arrangé avec les formules, les divisions, les gloses, rubriques, interprétations, qui constituent l’apparence d’un traité de droit civil. C’est ainsi encore une raillerie de l’art juridique unie à une vive et piquante satire des mœurs du siècle, mais où le mot, l’esprit, la nécessité de faire ressortir le portrait, l’emportent sur la réflexion et l’idée morale.

C’est après avoir terminé les Droits Nouveaulx que Coquillart entra dans les ordres : l’archevêque et le chapitre lui accordèrent la cinquante-septième prébende, qui vint à vaquer. Le 21 avril 1483, il put prendre possession de sa stalle de chanoine. Il était enfin arrivé à cette gloire qui avait été le but de toute son ambition, et ce fut sans doute avec un grand sentiment d’orgueil qu’il se vit revêtu de la chape d’honneur, portant à son choix le chaperon fourré ou le bonnet rond de docteur, et montant sur son pupitre pour y chanter matines dans le magnifique chœur de la cathédrale de Reims.

Le nouveau chanoine fut choisi pour composer un poème qu’on devait réciter en grand appareil devant le nouveau roi Charles VIII, lorsqu’il viendrait se faire sacrer. Ce ne fut pas sans une certaine inquiétude qu’il se vit appelé à donner aussi solennellement la mesure de son talent. C’était sur lui que comptaient ses concitoyens, comme sur la gloire de la nation rémoise ; il aurait pour auditeurs tous les émules des Molinet, des Chastellain, des Octavien de Saint-Gelais, et peut-être exposerait-il aux railleries de ces savans et élégans esprits la poésie provinciale et le génie de la Champagne. Il ne savait pas que c’était à peu près la dernière fois que les échos de la vieille littérature allaient retentir parmi les princes et à la cour des rois de France ; mais dans son cercle intime il reçut bien des conseils contradictoires : céderait-il à l’école savante alors à la mode, et chercherait-il quelque pâle imitation de Me Alain, ou bien obéirait-il courageusement au genre bourgeois ? Il prit ce dernier parti, et composa le Blason des Armes et des Dames, c’est-à-dire la comparaison et l’éloge des biens qu’on trouve dans les unes et dans les autres. Il travailla d’ailleurs plus qu’il n’avait jamais fait ; il évita les négligences de style, suivit et développa plus complètement ses idées, enveloppa son cynisme habituel d’un triple voile, sans rien perdre pourtant de sa vivacité, de sa franchise et de sa simplicité. Il dut être singulièrement applaudi, et cette verve, ce charme dans les détails, cette invention gentille, cette forme joyeuse, facile et légère, pouvaient plaire aux deux sortes d’écrivains qui se partageaient alors la cour, aux fins et aux délicats comme aux amoureux de la grosse gaieté, à ceux qui, tournés encore vers le moyen âge par Louis XI et les Cent Nouvelles, se rattachaient aux trouvères, à ceux-là aussi qui pressentaient déjà la renaissance et présageaient François Ier.