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marier ; il ne voudra danser que les trois états, car il a mis sa galvardine[1] de migraine[2] rouge à larges manches et sa capeline (chapeau) aux larges bords ornés de plumes et de rubans. Les autres danses sont les branles de l’âge d’or, les sauts du temps boniface, et elles sont trop honnêtes pour une époque où les femmes se laissent corrompre pour se distraire et sont adultères sans s’en être aperçues. Il est donc là au milieu de ses compagnons, débitant sur ses amours quelque chanson que les pages feront courir par les rues comme s’ils étaient les scribes et les promoteurs de la dégradation des femmes. Les sourcils de ce mignon sont peints de vive peinture, il porte à la main sa canne à bec d’outarde, et ses chaussures sont larges et rondes comme une raquette. Il a l’estomac orné d’un tas de lacets bigarrés, son beau pourpoint des grands jours a un collet de satin renversé, pour laisser voir le linge fin ; ses manches sont larges comme bombardes et ornées d’un effilé long de trois doigts ; elles laissent voir un bras revêtu de fine batiste et orné d’un chapelet composé de grains brillans comme des fleurs d’or. Enfin, l’épée au côté, la daguette troussée pointe en l’air, il a pris l’air d’un gentilhomme. Qui défendra à l’avenir les libertés de la bonne ville ?

La bourgeoisie moyenne ne manque pas à la galerie, et le jeune marchand est devenu peut-être plus bruyant que le fils de l’échevin. Celui-ci est plus fat, plus satisfait de lui, plus advantageux en petits faits, mais nous le voyons parfois grotesquement suspendu à la glu qu’il avait disposée. L’autre, plutôt hardi et tapageur, fait la guerre de brocards avec les bons bourgeois qui raillent son équipage galant et lui prédisent les haillons de l’avenir. Vêtu de vert, au côté le bouquet de romarin, le bonnet renversé sur l’oreille comme s’il guignait toutes les femmes, un portrait attaché à la toque, il s’en va, tranchant du régent, s’exposer à tous ces caprices féminins qui sont plus violens que vents de bise.

Ung monseigneur du May planté,
Sailly du fin fous d’une estable.
Sera aujourd’huy attincté
Comme ung duc, comme ung connestable ;
Et s’il n’est estourdy, muable.
Léger comme oyselet sur branches.
On dit qu’il n’est pas recevable
Pour un soupper de nopces franches.

C’est surtout aux galans des petits métiers, à ces ouvriers que la vanité a mordus, c’est à ceux-là que le poète rémois prodigue ses sarcasmes. Ceux-là ne sont pas les fringans, ni les friquets, ce sont les fringuelotés. Et voilà de mes galans ! ils n’ont pas dix francs vaillant, ils ne pourront trouver six blancs au fond de leurs poches à la fin de la semaine, et on les voit, tout fiers de leur robe de migraine, baguenauder autour des femmes ! Gens de porc et de bœuf, il leur faut une chaîne pour singer les chevaliers ; ils porteraient plutôt la chaîne de leur puits et l’anneau de leur pelle à feu ! On dirait de gros trésoriers ; regardez-les demain, ces varlets dimancherets : ils

  1. Étoffe de luxe, teinte en rouge.
  2. Vêtement à larges manches.