Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 8.djvu/537

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

commanderie du Temple, où avait lieu la représentation, et se précipita vers l’enclos du chapitre, où elle commit mille désordres. Le lendemain, des jeunes gens parcoururent la ville en récitant des vers obscènes, injurieux aux femmes et au clergé. On fit courir le bruit qu’ils étaient tirés des poésies de Coquillart, et ce fut cela sans doute qui le décida à faire imprimer ses propres vers. C’est en effet à l’année 1491 qu’avec toute apparence de raison, le dernier éditeur de Coquillart fait remonter la première édition de ses œuvres. Cette publication ne fit qu’augmenter sa renommée et sa puissance. En 1493, il est nommé grand chantre, troisième dignité du chapitre, donnant juridiction sur le bourg de Betheny, la présidence du chapitre en l’absence du doyen et du prévôt, la police du chœur, et l’honneur d’avoir son nom à côté de celui de ces deux dignitaires en tête de tous les actes capitulaires. En 1496, il est élu par le clergé pour aller à Laon ratifier la paix faite avec l’Angleterre. Enfin il est chargé de solliciter auprès du pape la confirmation de l’élection de l’archevêque Robert Briconnet.

À partir de cette époque, il commence à se retirer de la vie publique ; mais il avait transmis une part de son illustration et de son autorité à tout ce qui portait son nom ; la bonne ville savait récompenser ses glorieux enfans Jusqu’aux dernières générations. Le vieux poète voyait tous ceux de sa race, les Denys, les Nicolas, les Jehan, les Guillaume, occuper les plus hautes charges de la municipalité et de l’église, et le nom de Coquillart resta illustre pendant tout le XVIe siècle, jusqu’au moment où un Guillaume Coquillart, troisième du nom, mourut, comme son grand-oncle, chanoine de Sainte-Balzamine.

Le poète champenois passa dans la retraite les dernières années de son existence. Il y avait alors dans la province bourguignonne un pauvre poète, Roger de Collerye, dont la destinée devait être l’obscurité, destinée aussi misérable que celle de l’écrivain rémois avait été brillante. C’était pourtant le seul disciple que Coquillart devait avoir ; mais les premiers essais de Pierre Gringore parvinrent peut-être à sa connaissance, il put prévoir que celui-ci serait comme lui un glorieux disciple des vieux trouvères, le dernier représentant de la poésie bourgeoise, mais aussi le plus grand et le plus complet. Quant à lui, sa carrière était terminée ; les hommes lui avaient donné toutes les gloires dont ils peuvent disposer, mais le monde qui l’avait tant honoré avait disparu, les esprits qu’il savait si bien réjouir étaient ouverts à d’autres inspirations ; il était pour ainsi dire le dernier de sa race. Il était le seul qui eût vu la grande guerre de cent ans, les antiques vertus des temps passés et la puissance presque souveraine de la bonne ville. La cour l’emportait sur la bourgeoisie, et la musique des paroles sur l’observation des mœurs. Il n’avait plus rien à faire en ce monde, et il se tourna Vers le Seigneur pour lui demander la seule gloire, la seule grandeur, la seule harmonie, qui soient éternelles. — Il mourut en l’année 1510.

Une telle vie est étrange pour nous, et de telles récompenses ne couronnent plus la poésie. La littérature s’adresse maintenant aux classes lettrées, et, à part quelques momens de surexcitation intellectuelle, les classes lettrées jouissent plus par la critique que par l’admiration. Le peuple, lui, a des récompenses pour ses écrivains : c’est lui qui est le véritable auditoire du poète, lui qui sait flatter son orgueil d’une merveilleuse façon par l’enthousiasme