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Le bruit du jour s’évanouit, la nuit descend avec ses longs crêpes. Dans son sein, point de fripon ni d’imbécile qui vienne troubler ton repos.

Là tu seras en sûreté contre la musique, contre la torture du piano-forte, contre la magnificence du Grand-Opéra, contre ses terribles tintamarres de bravoure.

Là tu ne seras plus poursuivi, torturé, par la tourbe des virtuoses, par le génie de Giacomo, et par les applaudisseurs chargés de porter son nom jusqu’aux confins du monde.

O tombeau, tu es le paradis des oreilles délicates qui craignent le bruit du peuple. La mort est bonne ; cependant il vaudrait mieux encore n’être jamais né.

II.
EN MAI.

Les amis que j’ai embrassés, que j’ai aimés, m’ont fait subir les plus indignes traitemens. Mon cœur se brise; là-haut cependant le soleil salue en riant le mois de la volupté.

Le printemps est en fleurs. Dans la verte forêt résonne le chant joyeux des oiseaux, et fleurs et jeunes filles sourient d’un sourire virginal; — ô monde charmant, tu es hideux !

Je serais vraiment tenté de louer l’Orcus; là jamais de contraste impertinent qui nous mortifie. Pour les cœurs souffrans, la place est bien meilleure, là-bas, au bord des eaux nocturnes du Styx.

Son bruissement mélancolique, le vacarme désolé des Stymphalides, le chant des Furies, si aigu, si perçant, et au milieu de tout cela les aboiemens de Cerbère.

Tout cela forme une lugubre harmonie avec le malheur et la tristesse. Dans la sombre vallée de l’empire des ombres, dans les domaines maudits de Proserpine, tout est d’accord avec nos larmes.

Mais ici, en haut, que le soleil et les roses me torturent cruellement ! Le ciel se raille de moi, le bleu ciel, le ciel de mai... monde charmant, tu es horrible !

III.
LE CORPS ET L’AME.

La pauvre âme dit au corps : Je ne te quitte pas, je reste avec toi, avec toi je veux m’abîmer dans la nuit et la mort, avec toi boire le néant. Tu as toujours été mon second moi, tu m’enveloppais amoureusement comme un vêtement de satin doucement doublé d’hermine... Hélas! il faut maintenant que, toute nue, toute dépouillée de mon corps, être purement abstrait, je m’en aille errer là-haut, comme un rien bienheureux, dans les royaumes de la lumière, dans ces froids espaces du ciel, où les éternités silencieuses me regardent en bâillant. Elles se traînent là pleines d’ennui et font un claquement insipide avec leurs pantoufles de plomb. Oh! cela est effroyable; oh ? reste, reste avec moi, mon corps bien-aimé !