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Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 8.djvu/553

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Les œillets de pourpre et les roses nous envoyaient de rouges baisers qui brûlaient comme des flammes. Dans les plus humbles pâquerettes, une vie idéale semblait s’épanouir.

Mais toi, tu marchais tranquille auprès de moi, dans ta blanche robe de satin, chaste et digne comme ces images de jeunes filles que dessine le crayon de Netscher. Ton cœur dans ton corset était comme un petit glacier.

VI.

Devant les assises de la raison, tu as été complètement absoute. L’arrêt porte ces mots : La petite, ni par paroles, ni par action, n’a violé aucune loi.

Oui, tu étais là, muette et inerte, tandis que de folles flammes me dévoraient. Tu n’attisais pas le feu, tu ne disais pas un mot, et cependant mon cœur est obligé de te condamner.

Dans mes rêves, chaque nuit, une voix accusatrice s’élève, qui porte plainte contre ta mauvaise foi et soutient que tu m’as ruiné.

Elle apporte les preuves, elle produit les témoignages, elle traîne toute une liasse de documens; toutefois, chaque matin, l’accusatrice disparaît en même temps que mon rêve.

Elle s’est réfugiée dans le fond de mon cœur avec toutes ses paperasses; une seule chose me reste en mémoire, c’est que je suis ruiné.

VII.

Ta lettre a été pour moi un de ces éclairs d’orage qui illuminent subitement la nuit de l’abîme. Elle m’a montré avec une clarté effrayante combien mon malheur est profond, combien il est profondément horrible.

Toi-même, te voilà émue de compassion, toi qui dans le désert de ma vie te tenais là, silencieuse, pareille à une statue, belle comme le marbre, froide aussi comme le marbre !

O mon Dieu! faut-il que je sois misérable! Elle se met à me parler, des larmes coulent de ses yeux, la pierre elle-même a pitié de moi!

Ce que j’ai vu là m’a ébranlé. Toi aussi, aie pitié de moi, ô Dieu! envoie-moi le repos, et mets fin à cette tragédie affreuse.

VIII.

Les jardins du ciel dans le paradis, dans le séjour des bienheureux, ne m’attirent nullement; je n’y trouverai pas de femmes plus belles que celles que j’ai vues sur la terre.

Il n’y a pas d’ange, paré même des ailes les plus fines, qui pût remplacer pour moi ma femme. Chanter des psaumes sur un siège de nuages ne serait pas non plus précisément le passe-temps qui me convient.

O Seigneur ! le mieux, je crois, c’est que tu me laisses dans ce monde; mais d’abord guéris mon pauvre corps et prends soin aussi de ma bourse.

Je le sais, ce monde est plein de péchés et de vices; mais je suis accoutumé déjà à battre en flânant le pavé de bitume de cet enfer terrestre.

Le bruit du monde ne me gênera pas, car je sors rarement; en robe de chambre et en pantoufles, j’aime à rester chez moi auprès de ma femme.

Laisse-moi près d’elle ! Quand je l’entends babiller, mon âme boit avec