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trouveront un jour dans l’ossuaire romain de Lillebonne des échantillons de bien des races étrangères à la Gaule avec les os des lions et des bêtes féroces qui les ont mises en pièces sur l’arène du théâtre. Au reste toute l’histoire des Romains, si fatalement mêlée à la nôtre, est dans cette observation : les Romains ne furent pas un peuple, ce n’était qu’une ville.

On aurait lieu de s’étonner que le site de Quillebœuf fût aussi peu connu des touristes parisiens et étrangers, si l’on ne savait qu’il y a peu de temps encore cette petite ville était d’un difficile accès. Il fallait d’abord aller de Rouen à Pont-Audemer, et ensuite se procurer, comme on pouvait, une voiture, un cheval ou une chaise de poste, pour arriver à destination. Maintenant deux voitures au moins font le service avec la plus grande régularité, et pendant les mois d’été les deux bateaux à vapeur de Rouen au Havre y déposent commodément chaque jour les rares curieux qui sont tentés d’y passer quelques heures. Caton disait qu’il s’était toujours repenti d’avoir fait par eau un trajet qu’il pouvait faire par terre. Je suis de l’avis contraire, sauf respect pour la vénérable antiquité, qui du reste n’avait pas nos bateaux à vapeur. Les touristes ne manquent pas de visiter le lac de Genève ; ils ont remarqué l’agrément de ses bords élevés en collines pittoresques, et ils lui ont donné la préférence sur le lac de Constance, qui, quoique plus grand en réalité, ne le paraît pas autant à la vue à cause de l’abaissement de ses bords. Le bassin de la Seine à Quillebœuf est au moins égal en étendue au lac de Genève, auquel il ressemble par l’agréable saillie des collines et des caps boisés qui se mirent dans ses eaux, à la vérité rarement tranquilles ; mais cette porte immense ouverte sur l’Océan et sur le monde, ces mille bâtimens marchant à la voile ou menés par la vapeur, cet envahissement de l’Océan à chaque demi-journée lunaire, les catastrophes même d’une navigation dangereuse, sont des spectacles inconnus aux riverains du lac de l’Athènes de la Suisse, dont la population est à peu près celle du Havre.

Lillebonne marque le terme de cette excursion à l’embouchure de la Seine. En quelques quarts d’heure, après avoir quitté la ville de Jules-César, on atteint à Bolbec le chemin de fer, où volent les locomotives dues à un ingénieur français, M. Seguin, et, chose que les Romains n’eussent jamais pu croire, on se trouve à Paris quatre heures après. Quant à la nouvelle du départ du convoi, grâce au télégraphe électrique, qui est aussi dû aux travaux des savans français, elle est à Paris en moins d’une seconde. Cette voie, que nous indiquons pour le retour, est aussi la plus expéditive et la plus pittoresque pour atteindre Quillebœuf, car une fois sur le bord de la Seine, un drapeau en permanence que le voyageur hisse au haut d’un mât fait arriver