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Danemark, à préserver les duchés de l’absolutisme autant qu’il est en leur pouvoir, et à ne pas souffrir que la constitution commune précipite toute la monarchie danoise de ce côté. De leur côté, les ministres allèguent, comme on l’a pu voir, que les chambres n’ont aucun droit de se mêler des affaires des duchés ni de tout ce qui regarde la constitution commune. Ils soutiennent que la constitution donnée naguère par le roi Frédéric VII pour toute la monarchie danoise est restreinte aujourd’hui par le fait aux limites d’une constitution pour le royaume de Danemark, c’est-à-dire pour le Jutland et les îles, et ils affirment que ce changement a pu se faire sans aucune illégalité, grâce à une réserve insérée dans la constitution de 1849, réserve imaginée à dessein pour faire échec à l’article 100 de )a. même constitution, et ménageant d’avance au gouvernement, s’il croyait devoir redouter un jour l’influence d’une constitution libérale, le moyen de la modifier sous le prétexte de son accord avec les institutions du Slesvig. On peut demander seulement comment le ministère explique les paroles de M. Bluhme pendant la séance du 13 février 1852; il est permis de soupçonner que ce jour-là M. Bluhme a éventé le piège.

Les amis du cabinet ne dissimulent pas non plus que le mot de toute l’énigme pourrait bien être une nécessité européenne. Beaucoup d’entre eux reconnaissent que la politique du parti de l’Eyder, unissant le Slesvig au Danemark sous des institutions absolument semblables, serait la meilleure, mais ils ne croient pas ses vues exécutables; ils disent que le Slesvig méridional est devenu allemand, et qu’il est impossible de l’obliger à redevenir danois; ils assurent que le Slesvig et le Holstein ne veulent pas de la liberté, et qu’ils préfèrent les institutions absolutistes; ils déclarent surtout que les grandes puissances voisines du Danemark ont imposé au gouvernement danois la publication du 28 janvier 1852, qu’il a bien fallu céder et qu’il faut exécuter à présent les engagemens qu’on a pris. Voilà l’explication des paroles du ministre de l’intérieur aux chambres : « Nous aurions tous bien voulu conserver cette constitution telle qu’elle a paru en 1849... Vous rendrez plus difficile à sa majesté l’accomplissement des promesses qu’elle a faites. » Ces engagemens pèsent donc sur le roi et sur le ministère. Cela suffit pour expliquer le malentendu entre le gouvernement et les chambres; cela ne suffit pas pour laisser entrevoir quelle pourra en être l’issue. En effet les chambres n’ont pris aucune part à ces engagemens, elles ne les connaissent pas; qui les forcera à se résigner, ou bien qui les persuadera qu’elles doivent, pour complaire à la diplomatie européenne, sacrifier le dépôt qu’elles ont reçu de la nation, le dépôt de la liberté, que dis-je ? celui même de l’existence du Danemark; car, il ne faut pas se le dissimuler, il s’agit ici de l’existence du Danemark. Le Danemark n’est plus rien sans les duchés, tout au moins sans le duché de Slesvig; le Slesvig lui échappera, s’il a des institutions différentes de celles du royaume, surtout si ces institutions sont pareilles à celles du Holstein, et alors le Danemark, devenu beaucoup trop faible, sera infailliblement effacé de la carte d’Europe; les îles resteront scandinaves, suédoises sans doute; la partie continentale se fondra dans l’Allemagne, dans la grande patrie, das grosse Vaterland. Quant à la constitution libérale de 1849, affaiblie déjà par les restrictions qu’on se croit obligé de lui faire