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Robert-le-Diable, des Huguenots, du Prophète et de l’Étoile du Nord est un poète doublé d’un philosophe, un Alexandrin, une sorte de Plotin qui vous émeut autant qu’il vous donne à réfléchir. Vous pouvez discuter sa manière, lui contester certaines qualités, faire vos réserves au nom de certains principes immuables de l’art : il faudra toujours que vous lui accordiez cette faculté suprême qu’un critique éminent, M. Planche, trouvait dernièrement dans l’œuvre de Rubens : la vie. Meyerbeer marche et prouve le mouvement en laissant aux sophistes le plaisir d’en nier l’existence. L’Etoile du Nord brille encore de son premier éclat, et l’exécution en est aussi soignée qu’aux premiers jours.

Le troisième théâtre lyrique a subi également, depuis l’année dernière, une petite révolution. La mort subite de M. Seveste a permis à l’autorité supérieure de confier à M. Perrin, le directeur de l’Opéra-Comique, les destinées d’une entreprise qui avait précisément pour objet de lui faire concurrence. Cette mesure était-elle la meilleure à prendre ? Nous ne le pensons pas. Quels que soient l’intelligence et le bon vouloir de M. le directeur de l’Opéra-Comique, il faut bien, en définitive, qu’il voie par ses yeux et entende par ses oreilles. Il ne peut pas avoir deux manières d’apprécier un compositeur, et s’il se trompe dans ses prévisions ou dans ses répugnances, le musicien qu’il aura repoussé ne trouvera plus aucune issue à ses talens méconnus. La concurrence est aux esprits ce que ce frottement est aux corps, elle fait jaillir la lumière, et rien ne la remplace. Le seul événement qui mérite d’être signalé au Théâtre-Lyrique, c’est la représentation du Billet de Marguerite, opéra-comique en trois actes, de MM. de Leuven et Brunswick, musique de M. Gevaërt. La scène se passe en Allemagne, aux environs de Bamberg, et toute l’intrigue route sur une équivoque, sur une promesse de mariage consignée dans un billet à La Châtre qui n’amène que des scènes insipides et un dénoûment sans intérêt.

L’auteur de la musique, M. Gevaërt, est un jeune compositeur belge qui s’est déjà fait connaître avantageusement par un opéra en un acte, Georgette, où il y avait du talent. Le nouvel ouvrage, beaucoup plus important, se distingue moins par la nouveauté des idées que par l’habileté et le savoir-faire du compositeur. Nous avons remarqué au premier acte un fort beau chœur dans la manière de Weber, un duo pour baryton et ténor qui est bien coupé pour la scène; au second acte, un joli trio, spirituellement conçu, une romance d’un bon sentiment. Gardez-moi, un duo pour deux voix de femme, dont le commencement est d’une tournure vulgaire, et qui se termine par une sorte de nocturne plein de grâce; au troisième acte, les couplets du messager Jacobus, qui ont du piquant, et le finale, qui est un morceau d’ensemble rempli d’incidens fort habilement groupés. Ce finale méritait un meilleur sort que la place qu’il occupe à la fin d’une histoire de village dont il dépasse le cadre par ses proportions et son développement. Il y a certainement de l’avenir dans le talent déjà remarquable de M. Gevaërt, s’il parvient à se dépouiller d’une foule de vieilles formules d’accompagnement dont son instrumentation est remplie. Il use et abuse jusqu’à la satiété d’une certaine progression ascendante qu’on trouve dans tous les opéras de M. Verdi,