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paternelle pour l’y rejoindre et l’épouser; mais l’infortunée repousse avec courage une union conclue sous d’aussi peu favorables auspices, elle est d’ailleurs atteinte d’une maladie de langueur qui l’emporte en deux saisons.

On le voit, rien de moins compliqué que cette histoire. On peut cependant élever contre quelques détails, au point de vue même de la vraisemblance, d’assez graves objections. Sans exprimer ici le regret qu’on place la scène en Italie pour la peupler d’Anglais, je demanderai du moins comment une pauvre veuve, privée de son fils, peut consentir, pour je ne sais quelle gloriole ou quel intérêt hypothétique, à se séparer de sa fille et à la laisser dans une maison où il y a un jeune homme. C’est encore au point de vue de la vraisemblance qu’on ne peut guère accepter la résolution d’Angiola-Maria quand la mort de sa mère l’a laissée seule au monde. Pourquoi s’égare-t-elle d’abord dans un atelier de modiste, puis au service d’un vieux libertin, plutôt que de retourner au pays, dans cette maison, déserte il est vrai, mais qui lui appartient encore, où elle peut vivre de son modique revenu, où elle serait entourée d’amis qui la connaissent dès l’enfance et qui respecteraient sa jeunesse, sa pureté, son malheur ? Lorsque son historien l’a bien promenée à Milan de misère en misère, il lui fait prendre enfin ce dernier parti, le seul raisonnable et qui n’avait d’autre inconvénient, en venant à son heure, que de mettre trop tôt fin au récit.

Peut-être sommes-nous sévère pour un livre qu’on ne lit pas sans plaisir; mais M. Carcano est un écrivain sérieux et d’assez de talent pour qu’on lui doive la vérité sur les défauts de ses ouvrages. Quant aux mérites qui assignent à Angiola-Maria un rang distingué dans la littérature contemporaine, quelques-uns, ceux de la forme, de la langue et du style, sont difficilement appréciables pour nous. Comment faire sentir ce doux laisser-aller, cette gracieuse et spirituelle familiarité du langage qui est si éloignée de ce que le génie de la langue française nous permet ? Voltaire se plaignait vivement de cette contrainte que nous impose un besoin exagéré de noblesse dans le style, et tout homme de goût sera de son avis, surtout lorsqu’on verra les peuples étrangers jouir de cette liberté précieuse de dire simplement les choses simples. Aucune langue n’est plus large à cet égard que la langue italienne, et aucun écrivain, parmi les meilleurs de cette nation, n’use avec plus de mesure et de justesse que M. Carcano de cette libéralité.

Si nous laissons de côté cet avantage, auquel nous ne pouvons que porter une stérile envie, ce qui nous plaît surtout, ce que nous cherchons dans un roman italien, c’est tout ce qui nous fait connaître l’Italie, ses mœurs, les beautés incomparables de sa riche nature. M. Carcano s’est attaché dans Angiola-Maria plutôt à développer les sentimens du cœur humain que les coutumes les plus particulières, les plus originales de son pays. Pourtant quelques parties de son livre indiquent un vrai talent d’observation. Je voudrais espérer que la traduction ne fera pas trop de tort à la scène suivante, si agréable dans l’original :

« Qui de nous, dans les beaux jours de l’automne, à la campagne, n’a pris place plus d’une fois au milieu de la brillante compagnie qui fait cercle dans la boutique de l’apothicaire ? A qui n’est-il pas arrivé de se trouver porté parmi les habitués de cette officine qui est le centre, le cœur du village, par