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chose qui puisse nuire aux Romains, et si c’est là mon intention, que Baïan périsse, que tous les Avars périssent jusqu’au dernier ; que le ciel tombe sur eux ; que le feu, qui est le dieu du ciel, tombe sur eux ; que les sommets des montagnes et les forêts tombent sur eux ; que la Save sorte de son lit et les submerge ! » Après avoir prêté ce serment, qui était celui de sa religion, il garda un moment le silence, puis il dit : « Maintenant, Romains, je veux jurer à votre manière, » et il demanda ce que les Romains avaient de plus sacré, de plus inviolable, et par quoi ils ne crussent pas pouvoir se parjurer sans attirer sur eux la malédiction du ciel ; ce furent ses propres paroles, au témoignage des historiens. L’évêque de Singidon alla prendre alors à l’endroit où on l’avait déposé le livre des Écritures, dans lequel étaient contenus les saints Évangiles, et le présenta ouvert au kha-kan. Baïan, qui s’était rassis après son serment, se lève de son siège, s’avance comme en tremblant, et, recevant le livre avec les signes du plus profond respect, il s’agenouille et dit- : « Je jure, au nom du Dieu qui a proféré les paroles contenues dans ce saint livre, que tout ce que j’ai avancé est vrai, et que telle est ma pensée. » Comme il avait parlé d’aller de sa personne à Constantinople pour conférer avec l’empereur, il s’excusa d’avoir changé d’avis, demandant qu’on y fît passer du moins ses ambassadeurs. Le gouverneur de Singidon s’en chargea. Pendant le délai qu’exigèrent les pourparlers et la sombre solennité qui en fut la suite, Baïan avait poussé ses travaux avec une activité incroyable, et le pont avançait rapidement.

L’ambassade n’entretint guère l’empereur que de la nécessité de prévenir les brigandages futurs des Slovènes par une bonne répression, et, pour cela, d’envoyer une flotte romaine qui, réunie à la flotte du kha-kan, transporterait les troupes avares ; elle glissa légèrement sur tout ce qui concernait le pont de la Save, dont la construction fort innocente ne pouvait, disaient les ambassadeurs, offusquer l’amitié des Romains. L’embarras de l’empereur, qui connaissait déjà toute l’affaire, n’était pas moindre que celui de son gouverneur de Singidon ; car le kha-kan avait là son armée toute prête, tandis qui l’armée romaine, qui se battait en Orient, où elle soutenait glorieusement la guerre contre les Perses, ne pouvait rien en Occident. Que faire en de telles conjonctures ? L’esprit de l’empereur flottait indécis. Il prit un détour et répondit que pour son compte il remettait à un autre temps le devoir de châtier les Slovènes et qu’il s’en chargeait ; « mais vous, Avars, ajouta-t-il, pourquoi vous jeter dans une entreprise difficile, quand vos ennemis les Turks se rassemblent en force autour de la Chersonèse taurique ? Vous devez savoir qu’ils ne vous oublient pas, et ils choisiront peut-être le moment où vous serez engagés en Slavie pour se jeter sur vous et vous détruire. »