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canons, il n’est pas resté maître du terrain. C’est tout ce qu’on peut conclure de cette affaire du 26 octobre, qui par son résultat n’avait rien de décisif. La véritable bataille qu’on devait attendre avant d’en venir à un assaut, c’est celle qui vient d’être livrée le 5 novembre sous les murs de Sébastopol même. L’armée russe, grossie cette fois de tous les renforts qui lui sont venus du Danube ou des provinces méridionales, ayant pour stimulant la présence des grands-ducs Michel et Nicolas, a attaqué l’armée anglaise dans ses position devant la place. Une partie de l’armée française est accourue pour prendre part au combat, et ce choc terrible s’est prolongé un jour entier pour finir par la retraite des Russes, qui ont éprouvé une perte de huit à neuf mille hommes. D’un autre côté, la garnison de Sébastopol tentait en même temps une sortie qui a été vigoureusement repoussée, et ici encore les Russes ont perdu un millier d’hommes. Ainsi, sur ces divers points, l’action se dénouait par un nouveau et sérieux succès pour les alliés. Malheureusement la longueur et l’acharnement de la lutte, les pertes mêmes des Russes indiquent assez ce que cette victoire a pu coûter à nos armées. Quelle sera maintenant la conséquence de cette bataille ? Hâtera-t-elle l’assaut ? N’est-elle que le prélude de tentatives nouvelles de la part des Russes pour chercher dans leur défaite même à prolonger la défense ? Quel que soit le résultat, quelques épreuves qu’aient encore à supporter ensemble les soldats de la France et de l’Angleterre, on ne peut détourner le regard de ce théâtre sanglant et glorieux sans observer la généreuse et virile émulation de ces deux armées, mettant en commun leurs qualités diverses : l’une son entraînante vigueur, l’autre son inexpugnable solidité. Chefs et soldats rivalisent d’intrépidité sous le feu, et comme ils s’entr’aident dans le combat, ils se rendent une justice mutuelle, sans songer à diminuer les services qu’ils se doivent. C’est là ce qu’on a pu toujours remarquer dans les rapports des généraux. Autrefois Anglais et Français apprenaient ce qu’ils valaient en se combattant ; aujourd’hui c’est en soutenant la même cause, le même droit, en se mêlant pour ainsi dire sous le même drapeau, qui est celui de la civilisation occidentale.

La politique de l’Angleterre et de la France heureusement est claire comme le jour. Après avoir inutilement essayé de tous les moyens de transaction diplomatique, de tout ce qui pouvait préserver la paix du monde, elle se résume aujourd’hui dans l’action, dans une action énergique et décidée. Nous plaignons l’Autriche, qui dans ses manifestations officielles ne juge point autrement la situation, de se sentir encore retenue dans les liens d’une politique différente. Nous ne savons s’il faut plaindre beaucoup la Prusse d’en être toujours à s’interroger sur ce qu’elle doit vouloir et sur ce qu’elle doit faire. Quant à l’Allemagne prise dans son ensemble, quelle est sa politique ? Est-il survenu quelque fait propre à l’éclaircir ? L’Allemagne, il faut l’espérer, aura une opinion sur la question d’Orient, quand la guerre sera finie. En attendant, sa politique ressemble un peu, en vérité, à quelqu’une de ces forêts noires où il est assez difficile de se retrouver et d’apercevoir la lumière. À travers cette confusion et cette obscurité, la question essentielle évidemment, celle qui doit décider du système de conduite des états germaniques, c’est la question des rapports entre l’Autriche et la Prusse. Les deux grandes cours allemandes sont-elles arrivées à un degré de dissidence complète ? Sont-elles au contraire sur le point de s’entendre de nou-