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ne voulait qu’avoir les hommes sans les mesures, il négociait avec une franchise qui mettait en lumière l’impossibilité de s’entendre, et tout était rompu presque aussitôt que commencé. Par momens, il renonçait à tout désir de pouvoir. Il écrivait à son ami le colonel Fitzpatrick, qui servait en Amérique[1] (3 février 1778) : « pour ce qui me regarde, je puis dire seulement qu’on me flatte que je continue à gagner plutôt qu’à perdre comme orateur, et je suis si convaincu que c’est tout ce que je gagnerai jamais (si je n’aime mieux devenir le plus vil des hommes), que je ne pense jamais à un autre objet d’ambition. Ambitieux, je le suis certainement par nature; mais j’ai réellement ou je crois avoir tout à fait dominé cette passion. J’ai encore autant de vanité que jamais, passion plus heureuse de beaucoup; car je crois pouvoir acquérir une grande réputation et la garder, et je ne pourrai jamais acquérir une grande situation, ou, si je l’acquiers, la garder, sans faire des sacrifices que je ne ferai jamais. » Il parlait ainsi lorsqu’il croyait le roi invincible et la complaisance des chambres inépuisable. Plus souvent, à la pensée du danger public, excité par ses craintes mêmes pour son pays, il mettait son honneur à le sauver et pressait Rockingham et Richmond de ne pas se refuser aux occasions de ramener le parti whig au gouvernement. Il ne fallait qu’un pied dans le pouvoir pour arrêter l’état sur le penchant de sa ruine; il suffisait pour maîtriser le roi de pénétrer dans son conseil. Cependant, à mesure que le temps avançait, il prenait de nouveaux engagemens avec la popularité, et renonçait de plus en plus à cette excessive indépendance qui tente et isole quelquefois les hommes supérieurs, et à laquelle Chatham avait tant sacrifié. L’arrière-neveu de Charles Ier, devenait le représentant du parti parlementaire contre le parti royal.

Mais tandis qu’il se disciplinait dans sa vie publique, il continuait de desservir sa cause et son avenir par sa façon de vivre; il aliénait sa liberté à ses passions. Dans un voyage qu’il avait fait à Paris en 1776, il s’était livré si follement à ses goûts, que cette vie déréglée, jointe à la franche hardiesse de sa conversation, effarouchait les esprits les moins sévères. Mme du Deffand, qui, en détestant l’ennui et l’uniformité, prenait l’originalité et la force en mauvaise part, écrivait à Walpole en parlant de Fox :

  1. Richard Fitzpatrick, frère de lord Ossory, était oncle de la belle-sœur de Fox et son intime ami. Il le suivit dans sa carrière politique, quoique beau-frère de lord Shelburne. C’était un homme aimable et distingué, connu en France par ses relations avec M. de Lafayette. Tous deux s’étaient liés en Amérique, quoique combattant sous des drapeaux différens. C’est lui qui fit à la chambre des communes, le 16 décembre 1796, la motion en faveur des prisonniers d’Olmütz.