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aux guerres de la révolution française ? Un peu moins d’orgueil ou de précipitation dans deux hommes, et le monde peut-être ne voyait ni Austerlitz ni Waterloo.

Le nouveau ministère était au fond une coalition. Il avait pour lui le roi, et les amis du roi, et quelques-uns des hommes les plus compromis, à la suite de lord North, dans la politique de résistance; mais les noms de Shelburne et de Pitt étaient les seuls apparens, et ils ne suffisaient pas pour donner au cabinet force et durée. Il y avait en dehors lord North et le gros de son parti, Fox et la majorité des whigs. Alors se posa, comme dit un écrivain spirituel, le problème des trois corps. Il fallait que deux des trois se réunissent, ou qu’un seul ralliât les deux autres par une attraction puissante. Shelburne fit ou permit des ouvertures de chaque côté; on négocia pour lui avec lord North, on négocia pour lui avec Fox. Pitt lui-même, qui répugnait à l’alliance avec le premier, eut avec le second une entrevue. Rien ne s’opposait à un rapprochement, sauf un point : Fox ne voulait pas, et là où les choses en étaient venues, il ne devait guère accepter la primauté de Shelburne, que la loyauté de Pitt ne lui permettait pas d’abandonner; mais une retraite volontaire du premier ministre pouvait tout concilier. Shelburne s’y prétendait disposé. « Fox et le duc de Portland, disait-il, feront un gouvernement avec Pitt, car je ne puis entendre parler des grandes idées de Pitt de ne pas prendre part à une administration où je ne serais pas. » Mais Pitt songeait déjà peut-être au pouvoir sans partage, et les amis de lord North entouraient Fox. Il y avait toujours eu entre ces deux hommes une certaine familiarité bienveillante à travers les hostilités parlementaires. La coalition fut conclue.

J’ai ailleurs essayé d’apprécier cet acte décisif de la vie de Fox[1], Quoique le caractère de North lui inspirât une sympathie naturelle, quoiqu’on sût que ce ministre avait fini par soutenir à contre-cœur la politique de la guerre, la responsabilité en pesait sur lui; il ne pouvait dignement entrer dans le ministère de la paix, ni former une coalition contre l’abus de la prérogative royale, après en avoir fait longtemps son point d’appui. Quoique approuvé par Cavendish, Burke, Sheridan, Fitzpatrick, Townshend, Fox compromettait son autorité morale, celle même de la tribune politique, en ne paraissant tenir aucun compte des accusations formidables qu’il avait fait gronder sur la tête de lord North. Il alléguait la maxime : Inimicitiœ breves, amicitiœ sempiternœ. Malheureusement il n’avait pas à pardonner des injures personnelles toujours pardonnables : il s’agissait de mettre en oubli ce qu’on avait qualifié de trahison envers le

  1. Voyez Burke, deuxième partie, dans la Revue du 1er février 1853.