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qui n’y sont point éteintes. Miss Emily a besoin de toute sa douceur pour rappeler au calme cette jeune fille emportée, qui, lorsqu’elle était un enfant, avait quitté le logis de Nan Grant sans savoir où elle irait coucher, et qui serait prête à recommencer encore. « Je ne veux pas vous rendre malheureuse, dit-elle à miss Emily, je ne veux être à charge à personne. Je m’en irai, je m’en irai quelque part où vous ne pourrez plus me voir ! »

La dernière fois que Gerty se laissa aller à ses explosions de colère, ce ne fut point par haine du mal qu’on lui faisait, mais par souvenir de la protection dont on l’avait entourée, par reconnaissance et par amour.


« Lorsque Gerty était venue loger chez M. Graham, elle avait apporté, avec une malle contenant ses effets, une vieille boîte qu’elle plaça dans un des placards de sa chambre. Cette boîte resta là tout l’hiver sans être ouverte et sans attirer l’attention de personne. Lorsque la famille quitta la ville pour la campagne, la boîte, soigneusement surveillée et protégée par sa propriétaire suivit aussi. Comme il n’y avait ni placard, ni cachette d’aucune sorte dans la nouvelle chambre de Gerty, elle plaça cette boite derrière son lit. Le soir avant son voyage à la ville, elle avait passé quelque temps à contempler une partie des objets qu’elle contenait. Un souvenir était attaché à chacun de ces objets, et bien des larmes tombèrent des yeux de la jeune fille sur ce petit trésor. Il y avait là l’image de Samuel, maintenant endommagée par le temps et les accidens. Elle remarqua une cassure grave sur le derrière de la tête, causée par une inadvertance de l’oncle True lui-même, et, se rappelant la patience avec laquelle le bon vieillard avait cherché à réparer sa faute, elle sentit que pour le monde entier elle ne consentirait à se séparer de ce souvenir. La boîte contenait encore les pipes en terre commune noircies par le temps et la fumée, et en pensant au plaisir qu’elles avaient donné à son vieil ami, elle sentit que c’était pour elle une consolation de les posséder. Elle avait aussi emporté la lanterne, car elle se rappelait toujours sa belle lumière, la première qui eût éclairé les ténèbres de sa vie, et elle n’avait pas non plus oublié un vieux bonnet de fourrures, sous lequel elle avait souvent cherché et jamais en vain, un sourire de tendresse, qu’il lui semblait pouvoir y rencontrer encore. Il y avait aussi quelques joujoux et livres d’images, présens de Willie, un petit panier qu’il avait taillé pour elle dans une noisette, et quelques autres bagatelles.

« Tous ces objets, à l’exception de la lanterne et du bonnet, avaient été laissés par Gerty sur la cheminée. En entrant dans la chambre, son œil chercha ses trésors; ils avaient disparu. La cheminée avait été proprement frotté et elle était vide. Elle courut vers l’endroit où elle avait laissé la vieille boîte ; la boîte avait également disparu. Courir après la fille de chambre qui se retirait, la rappeler et lui faire avec précipitation une série d’inquiètes questions, tout cela fut l’affaire d’un instant.

« Brigitte était une nouvelle domestique, remarquablement stupide d’ailleurs. Néanmoins Gertrude parvint à lui arracher tous les renseignemens dont elle avait besoin. L’image, les pipes et la lanterne avaient été jetées dans