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exercer sur lui des influences diverses; mais, comme au début le roi de Prusse ne croyait pas à la gravité de la question d’Orient, on pouvait présumer qu’il y verrait une de ces occasions faciles où il aime à constater sans trop de périls son indépendance vis-à-vis de Pétersbourg, et où il n’appréhende même pas d’engager contre son beau-frère quelques escarmouches diplomatiques.

Le premier ministre du roi de Prusse, le baron de Manteuffel, était l’homme le plus capable de donner une impulsion droite à la politique prussienne, s’il était au pouvoir de quelqu’un de fixer entièrement l’esprit de Frédéric-Guillaume, ou peut-être si, chez M. de Manteuffel lui-même, la fermeté des résolutions correspondait à la rectitude du jugement. M. de Manteuffel est un homme éclairé, sensé, positif. Il a contenu le mouvement démocratique de 1848, et il résiste aux exagérations réactionnaires du parti de la croix, qui ne voit en lui qu’un bourgeois, un bureaucrate. Sa modération et sa prudence ont rendu à son pays les plus grands services dans les affaires de 1849 et de 1850, et ont conjuré la guerre qui fut au moment d’éclater entre l’Autriche et la Prusse. Sa capacité administrative et ses lumières lui auraient donné une place élevée parmi les hommes d’état économistes, si, comme on aurait pu le croire il y a quelques années, les questions économiques fussent restées la préoccupation principale de la politique européenne. Par son intelligence les intérêts de notre temps et par ses tendances progressives, M. de Manteuffel appartient à la cause des idées occidentales; mais si la modération et la prudence lui ont souvent réussi, ses amis ont pu se plaindre qu’il les ait quelquefois poussées jusqu’à l’inconsistance et à la faiblesse. M. de Manteuffel a la volonté paresseuse; il n’aime pas à aller au-devant des difficultés, ce qui n’est pas toujours un défaut, et il aime mieux les tourner que les résoudre, ce qui n’est pas toujours un mérite. Aussi, que l’on doive l’attribuer soit à ce pli de son caractère, soit à la complexité des choses en Prusse, M. de Manteuffel n’avait de position nette et décidée ni devant les chambres prussiennes, ni dans le cabinet qu’il préside, ni vis-à-vis du roi. Une des prétentions de M. de Manteuffel dans sa politique parlementaire est de n’adopter la solidarité d’aucun parti; les majorités qui votent ses mesures sont le résultat de l’accord accidentel de telle et telle fraction des chambres sur les propositions du gouvernement. De là ce qu’on appellerait chez nous une politique de bascule; mais il faut dire, à l’honneur du bon esprit de M. de Manteuffel, que cette politique lui a plus souvent obtenu le concours du parti libéral que celui du parti de la croix. Malgré cette tendance, M. de Manteuffel, que ce dernier parti attaque souvent, et qui est loin lui-même d’en aimer les hommes et les doctrines, compte avec lui, et lui a cédé dans le