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liens dont la Russie et l’Autriche ont enchaîné la Prusse depuis 1850, sous prétexte d’une étroite alliance. Le pouvons-nous à l’égard de Russie ? Oui, car cette puissance est tellement isolée en ce moment qu’elle est matériellement et moralement impuissante contre la Prusse, et qu’elle doit au contraire trembler de voir le cabinet de Berlin s’unir à la France et à l’Angleterre. Dès que la Prusse ne se laissera plus aveugler par le spectre de la révolution, dont la Russie ne s’inquiète guère lorsqu’il s’agit de ses intérêts, elle pourra faire reconnaître son indépendance et forcer sa voisine à rendre hommage à sa position de grande puissance. Il est important à ce point de vue que la Russie ne triomphe pas dans ses injustes prétentions. D’un autre côté, la Prusse peut-elle s’affranchir de la dépendance de l’Autriche ? Encore plus facilement. Cette puissance se montre aux yeux de l’Europe paralysée, sans influence et contrainte de sacrifier ses sympathies et ses intérêts. Sa faiblesse éclate trop pour que la Prusse n’en profite pas et ne secoue pas le joug cruel auquel elle a dû se soumettre en 1850. Quelles seront les conséquences de ce double affranchissement de la Prusse ? Il lui permettra d’être ce qu’elle est en droit et en réalité, non une cinquième roue à un carrosse, mais le cœur et la force de l’Allemagne. Forte et indépendante, elle pourra tendre une main secourable à l’Autriche, rétablir avec elle l’ancienne union des états germaniques appuyée sur l’Angleterre, et résister ainsi aux dangers dont l’est les menace aujourd’hui, et l’ouest peut-être dans l’avenir. »

On trouve réunis dans ce point de vue, celui qui était cependant le moins défavorable à la France, les mobiles complexes de la politique prussienne, même dans son expression la plus intelligente et la plus indépendante. Avant tout, antipathie décidée contre la Russie; au fond, prédilection marquée pour l’Angleterre, regardée comme l’alliée naturelle de l’Allemagne et particulièrement de la Prusse; défiance inquiète à l’égard de la France, et ici nous devons mentionner un des motifs les plus caractéristiques de cette défiance, lequel reparaîtra plus d’une fois dans la suite de ces transactions. Les Allemands et surtout les Prussiens ont une crainte vague de nous voir unis un jour avec les Russes; ils se refusent à croire à la sincérité et à la durée de notre antagonisme contre la Russie. La possibilité d’une entente secrète entre Pétersbourg et Paris et l’illusion d’un vaste projet de conquête que nous pourrions exécuter à l’aide de cette alliance sont un des cauchemars qui troublent leurs rêves. Les diplomates russes ont fréquemment pris soin, au reste, de les entretenir dans cette appréhension par des insinuations mystérieuses et des ménagemens affectés envers la France et ses ministres. La rivalité de l’Autriche achève enfin ce tableau des perplexités prussiennes.