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passage de son discours réussit surtout auprès de l’opposition. Il traça un portrait systématiquement flatté des qualités politiques de l’empereur Nicolas, dont tous les traits étaient par le contraste des allusions vivement saisies par l’auditoire. Un seul membre du parti russe, le président de Gerlach, osa déployer son drapeau avec un cynisme d’impopularité qui ne pouvait que nuire à sa cause : il s’attira une écrasante réplique de M. Bethmann-Hollweg. Pour la première fois, l’alliance russe était discutée et attaquée publiquement dans les chambres prussiennes. Pour la première fois, on y parlait avec chaleur de s’unir à la France. La chose était nouvelle et remarquable dans un pays où, dix-huit mois auparavant, les partis les plus contraires se retrouvaient toujours d’accord dès qu’il s’agissait d’exprimer contre la France d’injustes antipathies.

A la première chambre, l’emprunt fut voté paisiblement le 26 avril. Le passage le plus significatif du rapport de la commission était celui-ci : « On peut espérer que les autres états de la confédération accéderont au traité que nous négocions avec l’Autriche….. A côté de cette union devenue plus intime, l’accord de l’Autriche et de la Prusse avec les puissances maritimes subsiste toujours conformément aux principes posés dans les conférences de Vienne. » L’orateur du parti de la croix, dans la première chambre, M. Stahl, prononça un discours habile et mesuré. L’abstention et la neutralité étaient, suivant lui, la vraie politique de la Prusse. « Nous ne pouvons pas nous battre, disait-il, pour soutenir les prétentions exagérées du prince Menchikof; mais nous devons nous défier d’une indépendance garantie par la France et nous garder de rompre notre antique alliance avec la Russie pour faire triompher la politique particulière des puissances occidentales. » Il termina en engageant la chambre à s’en remettre à la sagesse du roi. Plus à l’aise devant la première chambre que devant la seconde, M. de Manteuffel y fut moins catégorique. Il annonça qu’il ne répondrait pas aux divers orateurs, mais il ne dédaigna pas de répondre un mot à la polémique vigoureuse de la presse anglaise contre les oscillations de la politique prussienne, il dit que le gouvernement ne réglerait pas sa conduite sur les insinuations du journalisme et ne s’engagerait pas dans la guerre pour mériter une poignée de main du Times, et il finit par cette vague conclusion ; «Nous suivrons d’un œil attentif le cours des événemens, et le roi saura choisir, dans sa sagesse, le moment d’agir. »

L’affaire de l’emprunt était terminée. Le roi était enchanté d’avoir emporté un vote sans condition; mais son impression ne fut point partagée par le public. L’opinion, fortement remuée en notre faveur par les discussions parlementaires, voyait avec défiance le succès