Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 8.djvu/964

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’aimerai toute ma vie; mais il voulait suivre et m’imposer une autre politique que la mienne. Je veux ce que j’ai toujours voulu, la paix et Bunsen voulait la guerre. Je veux la paix; mais si l’on m’attaque l’agresseur me trouvera prêt à lui répondre. »

A l’époque où M. de Bunsen donna sa démission, l’emprunt était voté, et les chambres finissaient leur session. Le parti de la cour n’avait plus de ménagemens à garder. « Il ne nous reste plus qu’à nous débarrasser de M. d’Usedom et du général de Bonin, disait-on dans le parti de la croix. » L’effet suivit promptement la menace. M. d’Usedom, qui ne voulait pas retourner à son poste à Rome, fut mis en disponibilité. Quant à M. de Bonin, les chambres étaient à peine parties depuis quatre jours, qu’il était congédié de la façon la plus singulière. Le général dînait à la cour : avant de se mettre à table, le roi le prit à part, et lui annonça, la larme à l’œil, que, si content qu’il fût de ses services, ils avaient, le général et lui, des idées politiques trop différentes pour qu’il pût lui conserver son portefeuille. Cette séparation coûtait évidemment au cœur du roi; le général de Bonin n’avait guère lieu de s’y attendre, car le roi, avec lequel il avait travaillé la veille encore, avait approuvé tous ses projets. Cette scène était d’autant plus pénible pour le général qu’elle se passait devant ses adversaires habituels, qui en colportèrent le récit. Le lendemain, la destitution fut contresignée par M. de Manteuffel et portée au général — Par qui ? Par le comte de Dohna, son ennemi acharné, celui-là même qui avait longtemps tourmenté le roi pour lui arracher cette résolution. Le vieux maréchal, à ce qu’il paraît, dit assez brutalement à l’ancien ministre qu’il devait attribuer la perte de son portefeuille à ce discours devant la commission de l’emprunt où il avait comparé l’alliance russe au parricide. M. de Bonin remit dignement à sa place l’inconvenant messager des vengeances russes. Sa chute achevait la déroute des amis du prince de Prusse. La destitution du ministre avait été signée sans que le prince eût été consulté ou même averti, ce qui était contraire à tous les précédens. Ce coup, qui l’atteignait si directement fit sortir le prince de sa réserve habituelle. Il écrivit, dit-on, au roi son frère une lettre où se montrait sa blessure : il s’y plaignait de la destitution du général de Bonin et de la persécution organisée contre ses amis, appréciait avec une juste sévérité l’ensemble de la politique, et annonçait qu’il allait partir pour Bade, à moins qu’un ordre du roi ne le lui interdît. S’il fallait ajouter foi aux vanteries du parti triomphant, la réponse du roi aurait été fort sèche et aurait exprimé un blâme très dur des idées du prince de Prusse; mais il n’en coûtait rien aux amis de la Russie de méconnaître ainsi les sentimens fraternels de Frédéric-Guillaume, et nous sommes sûrs qu’en cette