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— Votre erreur est grande, répondit Cornelio, ou tous mes malheurs ne seraient qu’une amère dérision. Longtemps, dans ma barbare ignorance, j’ai traité de bagatelles les vagues chansons de nos anciens poètes et le jargon qu’elles ont engendré ; mais ma propre expérience m’a appris ce que vaut l’art de bien dire. C’est précisément là le sujet de mon histoire et la cause de tous mes maux.

— Comme il vous plaira. Je vous supplie seulement de ne point monter le ton si haut. Restez Normand, restez corsaire, seigneur Dragut. Faites cela pour m’obliger.

— J’y consens, puisque vous le voulez. Figurez-vous donc des cheveux plus noirs que l’aile du corbeau, des yeux de Niobé voilés sous de longs cils, un nez fin et droit, une bouche garnie de perles, un air doux et réfléchi, un visage plutôt allongé que rond, et si mignon que tous les autres visages semblaient des masques en comparaison.

— Ce signalement me suffit, dis-je ; poursuivez à présent votre récit.

— Ce fut un dimanche, au Dôme, reprit Cornelio, que je rencontrai cette fille sans pareille, pour laquelle je m’enflammai d’un amour soudain. Don Massimo, le père de ma belle, était un bon homme, quoiqu’un peu avare, et sa femme, qui avait du goût pour la dépense, l’entraînait plus loin que ne l’eût mené sa ladrerie naturelle. Cette famille, nouvellement débarquée de la province, ne demandait qu’à se faire des amis à Palerme. L’accès de la maison me fut une conquête facile. Je promenai les dames dans mon yacht, et je m’insinuai dans les bonnes grâces du père en perdant contre lui quelques pièces de monnaie blanche à divers jeux de cartes. J’avais été bien avisé en me présentant des premiers, car aussitôt qu’on vit la jeune fille aux concerts du jardin public, sa beauté attira les regards, et les concurrens arrivèrent en grand nombre. Un soir, dans les allées de la Flora, je saisis l’occasion de parler à Aurélia et je hasardai quelques mots d’amour. La jeune fille m’écoutait la tête penchée sur son épaule, en jouant avec une fleur de magnolia. Tout à coup elle comprit où tendait mon discours, et, relevant ses grands yeux, elle me regarda d’un petit air curieux :

— Mais, dit-elle, vous m’aimez donc, seigneur Cornelio ?

Encouragé par cette question, je déclarai mes sentimens sans précaution ni artifice.

— Oh ! tant mieux ! s’écria la belle enfant avec une joie naïve. Ce doit être si amusant d’être aimée d’un homme tel que vous ! J’espère au moins que cela est sérieux, et que vous ne m’aimerez pas seulement en paroles.

— Mettez-moi à l’épreuve, répondis-je. Faut-il conquérir tout de