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les rôles de la maison du roi, conservés à l’échiquier de la Grande-Bretagne. Ce n’est pas tout, M. Hunter découvre à peu près l’origine de cet huissier devenu tout à coup si poétique : il est probablement originaire de Wakefield; il a des parens répandus dans le Yorkshire, et c’est justement là le pays où vécut le braconnier Robin Hood. Je ne m’arrête pas à d’autres détails, où les ballades et les archives publiques semblent prendre plaisir à s’accorder pour plaire à M. Hunter. Il faut vraiment que sa théorie soit bien impossible, pour que nous la rejetions malgré tant de vraisemblance.

Parmi tant de systèmes sur Robin Hood, il y a un trait général qu’on peut observer, et qui peut servir à les classer en quelque sorte en deux groupes différens. Selon les uns, ce personnage, ennemi de la société, telle qu’elle est organisée dans son pays, ennemi surtout de ceux qui la gouvernent, placé en embuscade contre les grands seigneurs, contre les puissans, contre les riches, est le représentant d’une haine de nation contre nation, le continuateur d’une guerre qui n’a plus de théâtre que les forêts, plus d’armes que l’assassinat ou le brigandage. C’est une petite guerre sans fin, une haine irréconciliable; c’est la guerre des Saxons vaincus contre les Normands vainqueurs, et la lutte constante, quoique désespérée, d’une opiniâtre nationalité. A ce point de vue, la longue popularité de Robin Hood démontre la durée de la lutte intérieure et cachée. Les chants sur Robin Hood étaient une poétique protestation contre l’envahissement de l’étranger, une plainte interminable ou une invective amère contre la tyrannie. Toute la masse du peuple, celle qui chantait ces ballades, ne supportait donc qu’avec peine le joug d’une dynastie normande, d’évêques normands, ou du moins applaudissait au ménestrel populaire, qui l’amusait aux dépens des usurpateurs. Comme rien ne prouve que le cycle de Robin Hood ait pris naissance avant l’idiome national, et que celui-ci n’a guère vu le jour qu’au XIIIe siècle, voilà donc une protestation politique qui traverse les âges, voilà un déchirement intérieur qui se perpétue durant deux ou trois cents ans. Nous arrivons au siècle des Édouards, et il y a encore des Saxons et des Normands ; une partie de la nation prétend être la maîtresse, quoique se reconnaissant étrangère; l’autre partie lutte encore, et se souvient de ses héros, quoique depuis si longtemps vaincue.

Selon d’autres historiens, les nations que le sort a mêlées ne demeurent pas ennemies et sous les armes, comme des adversaires en champ clos; elles ont une puissance merveilleuse pour s’absorber réciproquement. Le peuple saxon surtout avait cette force au plus haut degré; vaincu, broyé sous le joug de fer de ses conquérans, il a mieux fait que de prendre sa revanche et de battre son vainqueur, il a ouvert son sein, et il l’y a fait disparaître. Au bout d’un siècle, il ne restait plus des Normands que la langue, les arts, les richesses, les idées, toutes les armes enfin avec lesquelles on avait fait la conquête; mais ceux qui les portaient n’étaient plus. Comment des ballades, altérées peut-être d’âge en âge, mais peut-être aussi ne remontant pas au-delà du XIVe siècle, contiendraient-elles l’histoire indéfiniment prolongée de cette lutte incroyable, si contraire au caractère saxon ? D’où viendrait cet esprit opiniâtre de résistance dans les ballades, lorsqu’il disparaît si complètement dans les faits ? D’ailleurs, si l’on regarde de plus près à ces ballades, où