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Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 8.djvu/991

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procès à plaider à Messine. Il emmena sa femme avec lui et se fixa dans cette ville. Don Massimo a quitté Palerme et habite aujourd’hui dans la même maison que sa fille. Depuis ma triste aventure, mes passions ne se sont plus réveillées. Les années, la réflexion, l’expérience m’ont prémuni contre les égaremens ; je n’ai plus songé, en véritable philosophe, qu’à bien vivre et à me divertir. J’ai reconnu le danger d’aimer trop une seule femme : c’est pourquoi je les aime toutes… Et voilà comment, seigneur Français, ajouta don Cornelio, j’ai voué une haine éternelle au vin de Marsala et aux bastarde.

— Pour le vin, je le comprends, dis-je ; mais, comme assurément la bastarda n’aurait point versé si vous ne l’eussiez un peu aidée, je ne m’explique pas votre préjugé superstitieux.

— Parce que vous n’avez point goûté des trois mois de lit et des bandages de linge. Moi, qui les ai appréciés à loisir, je ne puis voir une bastarda sans un frisson. Je crois sentir le vent de la chute ; j’entends le coup de tonnerre dans ma tête, et le formidable appareil du chirurgien vient m’enlacer de ses replis. Comprenez-vous, à présent ?

— Parfaitement, seigneur Cornelio. Je comprends aussi pourquoi le prince P… vous a fait prier de me ramener sain et sauf, sans plaie ni contusion. Quant à la prédiction de la zingara, j’espère, en vous voyant si raisonnable, qu’elle ne vous atteindra pas, et que vous ne mourrez point de mort violente.

— Qui le sait ? Nul n’échappe à son destin ; mais un bon corsaire doit considérer comme une faveur du ciel de partir pour l’autre monde les pieds dans ses chaussures.

Pour retourner au bord de la mer, don Cornelio me conduisit par Santa-Flavia, et me montra le précipice dans lequel il avait versé. Nous nous embarquâmes ensuite sur le yacht, qui fit son entrée dans le port à la nuit noire, tant le vent contraria sa marche. On nous apprit que l’essieu de la bastarda s’était rompu sur la route. Les quatre donzelles, retardées par cet accident, avaient manqué leurs importantes affaires. Pendant le mois que je passai à Palerme, le seigneur Dragut se mit entièrement à ma disposition, et je trouvai l’occasion de me livrer aux études de mœurs les plus belles et les plus sérieuses sous la direction d’un pilote si habile et si prudent.

En 1847, don Cornelio s’empressa de se rendre à Messine pour assister à l’insurrection et au bombardement de cette ville. Il y fut tué d’un éclat d’obus, le fusil sur l’épaule, à la tête d’un détachement qu’il commandait, et la prédiction de la zingara se trouva ainsi accomplie.


PAUL DE MUSSET.