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midi perce un rayon de soleil, la fin du jour s’annonce belle, vous croyez presque au retour de l’été ; mais déjà la feuille a pris ses teintes cuivrées, et les marbres silencieux, que ne protège plus l’épaisseur des bosquets, vous montrent de toutes parts leur mélancolie ! — Encore une impression que nul n’a jamais su rendre comme Arnim, surtout dans cet admirable martyrologe intitulé : Misère et grandeur, chute et repentir de la comtesse Dolorès. Pour citer un dernier exemple, vous visitez de nuit Heidelberg, la métropole par excellence du romantisme allemand ; la ville se réfléchit en ombres crépusculaires dans les flots murmurans du Neckar, des milliers de clartés scintillent sous la transparence liquide, un merveilleux spectacle en vérité, qui, pour la grandeur sans doute, ne vaut point Venise, mais qui n’en a pas moins son caractère mystérieux et fantastique ! Au loin, des voix d’hommes chantent en chœur ; à quelques pas de vous, un étudiant langoureux gratte un cistre ; partout un calme grave, je ne sais quelle morne sérénité, partout la poésie ! Je défie quiconque tant soit peu connaît Arnim de faire jamais ce beau rêve sans penser à lui.

J’ai dit qu’Arnim était passé maître dans cet art du clair-obscur particulier aux vieux conteurs italiens, et j’ai hâte de prouver mon dire en donnant la substance de quelqu’un de ses récits. J’évoque donc ces étranges figures du fond de l’océan qu’elles habitent, et dont il semble que le sourd mugissement les enveloppe jusque sur le sol des vivans, pareilles à ces coquillages qui, lorsqu’on les approche de l’oreille, vous donnent comme un écho lointain des symphonies marines.


II. – MELUCK-MARIA BLANVILLE.

Un vaisseau turc, chassé par une galère maltaise, filait à toutes voiles dans les eaux de Toulon. Déjà l’équipage musulman va tomber aux mains des chevaliers de la croix, lorsque soudain un coup de vent favorable le pousse dans le port, où presque en même temps entrent ses ennemis. Aussitôt l’épée et la hache reluisent au soleil ; mais au moment où le combat s’engage, une femme apparaît à bord du vaisseau turc, s’élance au milieu des deux partis, et d’une voix qui s’exprime dans le plus pur français demande grâce pour une pauvre âme qui n’a qu’un espoir en ce monde, — celui de se réfugier dans le sein de la religion chrétienne et d’y faire son salut. Par cet accent qui à la plupart d’entre eux rappelle le sol natal, les chevaliers se laissent désarmer. Saint-Luc, leur chef, après avoir rassuré la belle suppliante, consent à épargner le vaisseau turc, dont le capitaine entame avec lui à ce sujet une conversation à laquelle la