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et qui revient d’Égypte, où l’avait conduit son goût pour les sciences occultes. Frenel observe longuement, ausculte, interroge, puis, après s’être fait expliquer en détail les moindres circonstances : — Mon bon ami, dit-il au malade, le cas est grave, et je vous vois entre les mains d’une terrible magicienne occupée tout simplement à vous dévorer le cœur. Enfin nous essaierons de vous sauver, peut-être qu’il en est temps encore. — Là dessus, le docteur va trouver Melück.

Ici s’offre à nous une scène toute remplie de cette poésie du merveilleux dont Arnim a plus que personne au monde le génie, et qui répand comme un semis d’émail et d’or sur la feuille de vélin où s’ébat en ses mille caprices la plume chatoyante du conteur. — Aussitôt en présence du docteur, Melück la magicienne reconnaît un confrère en sorcellerie. « Vous étiez occupée, lui dit Frenel, à creuser le mystère des métamorphoses ; un brahme de ma connaissance a fait dernièrement à cet endroit d’assez curieuses découvertes, et je puis vous en donner tout de suite un échantillon. » À ces mots, l’adepte tire de sa poche une petite boîte de vermeil, et, frottant le bout de son doigt d’un baume qu’elle renferme, touche légèrement le dos d’une chenille enroulée autour de la tige d’un mimosa. Avant qu’une minute se soit écoulée, le prodige de la transformation s’est accompli, et de la chrysalide phosphorescente se dégage un radieux papillon. Melück sourit, et, tout en se jouant, lâche dans l’air un des oiseaux de sa volière qui, sans se le faire dire deux fois, court sus à l’insecte d’émeraude et le gobe. Frenel, médiocrement flatté de la plaisanterie, demande alors à Melück de lui montrer son savoir-faire. Une grenade est là qui pend aux branches du prochain arbuste ; le docteur la cueille et défie la magicienne d’en extraire le cœur sans toucher à l’écorce du fruit. Melück attache un regard sinistre et profond sur la grenade, et presque aussitôt la rend intacte au docteur, qui la partage et la trouve vide à l’intérieur. « Très bien ! murmure-t-il ; mais qui réussirait à rétablir le fruit dans son intégrité première serait peut-être plus habile encore. » Melück prend de sa bouche un des grains de la grenade, le place dans l’écorce vide qu’elle appuie sur son cœur, et en moins d’un instant il n’y parait plus : le prodige est fait.

Le docteur a désormais atteint son but et sait ce qu’il voulait savoir. Tout à coup sa figure devient menaçante et terrible, son geste commande, sa voix tonne, et Melück, à certaine formule qu’il prononce, s’aperçoit qu’elle a affaire à un sorcier placé très haut dans la hiérarchie cabalistique ; elle demande grâce, fléchissant le genou devant son maître. Frenel se montre inexorable et décidé à ne point lâcher prise jusqu’à ce qu’on ait assuré le salut de son ami. Au récit des souffrances du malheureux Saintrée, Melück fond en larmes et