Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 10.djvu/1053

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

amis. Croiriez-vous qu’ils n’étaient ni nobles, ni savans, ni riches ? Oh ! ces Grecs ! — Le moyen de répondre à ces propos éminemment parisiens ? Ne demandez même pas que l’on distingue les Moldaves, les Valaques, les Ioniens, les Arméniens : on vous traiterait de Grec ! N’ajoutez pas surtout que la France a aussi sa marchandise d’exportation, que nous serions à plaindre, si l’on nous jugeait sur les échantillons qui courent les aventures en Orient ou en Amérique : on vous traiterait de mauvais citoyen.

D’ailleurs voici des voyageurs de distinction, des fils de famille, des officiers de marine, qui sont restés eu station au Pirée, des attachés aux différentes ambassades. Ils ont passé par Athènes, ils y ont vécu, ils en rapportent une impression effroyable et des récits très-amusans. Contesterez-vous l’autorité de gens qui disent : J’ai vu ? Ils ont vu en effet l’Attique dans sa grande et idéale nudité, qui ne veut point être goûtée du vulgaire ; ils ont vu ses lignes harmonieuses, ses rochers dorés par le soleil, ses oliviers dont le feuillage se détache sur un ciel pâle et transparent, ses champs incultes où fleurissent le thym et l’anémone. Leurs regards ont en vain cherché les grands bois qui se cachent derrière le mont Pentélique ; ils ont ri en franchissant d’un saut l’Ilissus, dont, les eaux disparaissent sous les débris et les marbres ; ils ont pensé en soupirant, pendant les ardeurs accablantes de l’été, aux vertes prairies, aux fleuves, aux ombrages du pays natal. C’en était fait : la Grèce, sa nature, son climat étaient jugés ; telle l’Attique, du moins à leurs yeux, telle la Grèce. J’ai connu un Napolitain qui n’avait jamais visité que les environs de Marseille : comme il parlait de la France ! La plupart des voyageurs ont passé quelques jours à Athènes ; ils n’ont eu affaire qu’aux bateliers, aux cochers, aux aubergistes, aux drogmans, classe sans nom, qui se ressemble sur toute la surface de la terre, et qui vit de l’étranger. Pour eux nécessairement, voilà le type grec, voilà les modèles qui inspireront leur verve après le retour, pendant les douces causeries d’hiver.

Ceux enfin qui ont véritablement séjourné à Athènes, quels Grecs ont-ils connus, fréquentés, étudiés ? Le peuple ? Ils savent qu’il est amoureux de l’élégance, qu’il s’habille somptueusement et se nourrit de figues sèches, qu’il est de mœurs chastes, assidu aux églises, qu’il regarde passer l’étranger dédaigneux avec un fin sourire, rien de plus. La bourgeoisie ? Elle ne parle point leur langue, elle leur ferme sa porte, par crainte autant que par vanité ; elle cache son intérieur pauvre, élève ses nombreux enfans, intelligente, avide de s’instruire, animée d’un patriotisme sincère, trop fière pour se laisser comparer aux Européens avant de s’être élevée jusqu’à eux. Il ne reste donc que la haute société, c’est-à-dire deux cents personnes,