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pensait que tout animal dure huit fois plus qu’il ne met de temps à s’accroître. À ses yeux, l’homme s’accroît pendant vingt-cinq uns, et conséquemment la durée absolue de l’homme est de deux cents ans. « La mort qui arrive avant cent dix ans, dit-il, est presque toujours artificielle. » D’après la tendance que nous avons rappelée, il faudrait au moins admettre ici les deux siècles devant lesquels Hufeland n’a pas reculé ; mais l’histoire et la statistique ne s’accordent plus avec ce résultat. Il y a là une apparente contradiction, dont pourtant il est facile de se rendre compte. Toutes les fois que l’on compare l’homme aux autres animaux, il ne faut pas perdre de vue qu’il y a en lui quelque chose de plus que chez tous ceux-ci : il y a l’être intellectuel et moral, dont l’action use et affaiblit sans cesse les ressorts de la machine organique. Cette condition spéciale, qui fait sa force et sa grandeur, rendrait sa vie plus courte, relativement à sa croissance, que ne l’est celle des autres animaux, si la supériorité de son organisme ne tendait au contraire à allonger sa durée totale. Il y a donc pour lui une sorte de compensation par suite de laquelle, en définitive, on est porté à quintupler simplement la durée de son accroissement pour avoir la dune normale de son existence.

L’étude physiologique des âges dont se compose la vie humaine conduit à la même conclusion. Si l’accroissement en hauteur s’achève à la vingtième année, l’accroissement en grosseur se prolonge jusqu’à environ quarante ans. Au-delà de quarante ans, le corps peut augmenter de volume ; mais, comme le remarque très bien Buffon, cette extension n’est pas une continuation du développement de chacun des organes ; c’est une addition de matière surabondante, une simple accumulation de graisse qui surcharge le corps d’un poids inutile. Après ce développement en longueur et eu grosseur, M. Flourens établit qu’il s’opère encore dans la profondeur de nos tissus et de nos organes un travail intérieur, lequel, « rendant, dit-il, toutes ces parties plus achevées, plus fermes, rend aussi toutes les fonctions plus assurées et l’organisme entier plus complet. » Ce dernier travail, que M. Flourens nomme très justement travail d’invigoration, a lieu de quarante à cinquante-cinq ans, et, suivant ce physiologiste, il se maintiendrait encore jusqu’à soixante-cinq ou soixante-dix. C’est seulement à cette époque qu’il fait commencer la vieillesse, la première, la verte vieillesse, car pour la dernière il ne la place qu’à quatre-vingt-cinq ans. Peut-être le savant académicien donne-t-il tel une extension un peu trop grande à l’âge viril, en faisant au contraire une part trop petite au dernier âge. À celui qu’il appelle l’âge saint de la vie. Sans doute il est difficile de fixer rigoureusement le terme de chacun d’eux, car ce terme varie presque pour chaque homme ; pourtant il est une mesure commune à laquelle nous nous arrêterons avec d’autant plus de confiance, qu’elle est généralement adoptée et qu’elle a pour elle la sanction du temps. On considère habituellement l’âge viril comme se terminant vers soixante ans, et à cette époque commence l’âge de retour, ou si l’on veut la première période décroissante. Buffon, s’adressant aux jeunes gens, disait à l’âge de soixante-dix ans : « N’ai je pas la jouissance de ce jour aussi présente, aussi plénière que la votre ? » Et il appelait la vieillesse un préjugé résultant, de notre arithmétique. Comment oser dire, après cela, que Buffon était déjà vieux à soixante ans, lui qui se trouvait encore jeune à soixante-dix ? Mais