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LES FLEURS DU MAL.

 
Un soleil sans chaleur plane au-dessus six mois,
Et les six autres mois la nuit couvre la terre ;
C’est un pays plus nu que la terre polaire ;
— Ni bêtes, ni ruisseaux, ni verdure, ni bois.

Or il n’est pas d’horreur au monde qui surpasse
La froide cruauté de ce soleil de glace,
Et cette immense nuit semblable au vieux chaos.

Je jalouse le sort des plus vils animaux
Qui peuvent se plonger dans un sommeil stupide,
Tant l’écheveau du temps lentement se dévide !


XV.

REMORDS POSTHUME.


Lorsque tu dormiras, ma belle ténébreuse,
Au fond d’un monument construit en marbre noir,
Et lorsque tu n’auras pour alcôve et manoir
Qu’un caveau pluvieux et qu’une fosse creuse,

Quand la pierre, opprimant ta poitrine peureuse
Et tes flancs qu’assouplit un vivant nonchaloir,
Empêchera ton cœur de battre et de vouloir,
Et tes pieds de courir leur course aventureuse,

Le tombeau, confident de mon rêve infini,
— Car le tombeau toujours comprendra le poète, —
Durant ces grandes nuits d’où le somme est banni,

Te dira : « Que vous sert, courtisane imparfaite,
De n’avoir pas connu ce que pleurent les morts ? »
— Et le ver rongera ta peau comme un remords.


XVI.

LE GUIGNON.


Pour soulever un poids si lourd,
Sisyphe, il faudrait ton courage ;
Bien qu’on ait du cœur à l’ouvrage,
L’art est long et le temps est court.