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du trône d’Isabelle II ce faisceau d’instincts et de sentimens conservateurs où don Carlos avait trouvé sa force. C’était une sorte de torysme espagnol ; mais le danger dans ces transformations était d’enlever à la royauté d’Isabelle ce caractère nouveau et libéral que les événemens lui avaient donné, que la constitution de 1845 avait maintenu. Qu’avait-elle fait d’ailleurs, cette constitution ? Elle avait le mérite de vieillir et d’être déjà presque l’une des plus anciennes de l’Europe. Elle n’avait point empêché le général Narvaez de conduire victorieusement l’Espagne à travers les conflagrations de 1848. Un des chefs du parti progressiste, M. Mendizabal, le disait avec assez d’esprit : « Avons-nous eu un 24 février pour avoir comme erratum un 2 décembre ? » Si l’homme d’état chez M. Bravo Murillo eût égalé l’administrateur, il aurait vu que le péril dépassait l’avantage, qu’en voulant achever la déroute des oppositions, il leur donnait une raison d’être, un drapeau.

Pour que cette réforme pût avoir son vrai et sérieux caractère, elle aurait dû être l’œuvre du parti conservateur uni et compacte, et le travail des animosités personnelles, en se poursuivant, rendait chaque jour les scissions plus implacables. Il aurait fallu tout au moins que M. Bravo Murillo pût compter sur les chefs de l’armée, et il n’y pouvait compter par cette raison assez naïve, mais vraie, qu’il était un président du conseil en habit noir. Enfin, si une telle entreprise valait d’être tentée, il fallait la mûrir, la préparer et l’exécuter sans laisser place à aucune tergiversation. Pendant tout un été au contraire, l’opinion flottait dans toutes les incertitudes. La réforme était partout comme une ombre provoquante. Chacun se plaisait à imaginer un coup d’état et à en fixer la date, de telle sorte que quand M. Bravo Murillo se présentait aux cortès à la fin de 1852 avec ses projets de réforme constitutionnelle, il y arrivait sous le poids de ce soupçon d’un coup d’état manqué. La réponse fut immédiate ; le congrès élevait à la présidence M. Alarmiez de la Rosa, dont le premier acte était de marquer son élection du sceau d’une protestation constitutionnelle, et d’envoyer sa démission de vice-président du conseil d’état. La lutte entre les diverses fractions du parti conservateur, partout visible depuis quelque temps, mais dissimulée dans le silence de la tribune et de la presse, devenait donc un fait palpable et éclatant aux yeux du pays. La dissolution du congrès ne faisait que l’aggraver en rejetant toutes les nuances de l’opposition modérée dans un comité d’élections formé sous l’inspiration militaire des généraux du parlement, organisé pour la défense des institutions libérales, et rapproché sur ce terrain d’un comité progressiste. L’éloignement du général Narvaez, placé en quelque sorte à la tête de ce mouvement et brusquement envoyé à Vienne