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de chemins de fer lui en donnaient un autre : la moralité ! Il y a eu véritablement un instant où on eût dit que l’Espagne se composait de malfaiteurs passant successivement au pouvoir et de Catons s’enveloppant dans leur rigidité romaine. Il y avait certainement une exagération extrême des deux côtés. Il n’est pas moins vrai qu’il s’était élevé à cette époque, dans l’atmosphère morale de la Péninsule, un nuage épais de préventions et de soupçons, — que le principal concessionnaire de chemins de fer, M. Salamanca, était peu en faveur auprès des oppositions, — que de M. Salamanca on remontait aux ministres, des ministres à toutes les influences du palais, des affaires de gouvernement aux questions les plus personnelles, les plus intimes, et que dans cet amas d’accusations de tout genre tous les élémens politiques de l’Espagne étaient mis en cause, livrés et discrédités. À ce travail persistant, le ministère Lersundi ne pouvait opposer que ses efforts modestes et ses bonnes intentions. Il fallait en venir à une solution, et le cabinet du 18 septembre 1853 se forma sous la présidence de M. Luis-José Sartorius, comte de San-Luis, pour donner enfin un gouvernement à la Péninsule.

Ce n’était point une solution, et ce n’était point un gouvernement ; c’était une énigme de plus dans les conditions politiques de l’Espagne. Il faut faire la part des circonstances. Le ministère du 18 septembre avait le malheur d’être le dernier venu, sur lequel se résolvaient tous les orages d’une situation pleine d’incohérences accumulées ; il arrivait à un moment où il n’y avait guère de choix qu’entre les chemins qui conduisent à une catastrophe. Cela dit, de tous les ministères qui pouvaient se former, c’était celui qui était le moins fait pour échapper à cette terrible alternative. Ce n’est pas que le nouveau président du conseil n’eût une politique ; il en avait même deux, et c’est ce qui le perdit. La première de ces politiques consistait à épuiser la voie des concessions, à prendre littéralement le programme des oppositions ; la seconde consistait à tout réduire et à tout dompter là où la conciliation aurait échoué ; seulement le succès de cette double politique ne pouvait être le prix que d’une grande, d’une réelle et incontestable autorité, et cette autorité manquait au cabinet autant qu’à son chef.

Jeune, entreprenant, très décidé à relever sa fortune par quelque tentative propre à mettre fin à la situation critique de l’Espagne, le nouveau président du conseil trouvait dans son passé plus d’un obstacle. Qu’on songe que membre de l’administration du duc de Valence de 1848 à 1851, il en avait été ce qu’on pourrait appeler la partie faible et attaquée. Lorsqu’on accusait le cabinet Narvaez de remplir le congrès de ses créatures, c’est sur le comte de San-Luis qu’on en