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secrètes, et les soldats des deux côtés se battirent avec une intrépidité égale. Dès qu’il n’y avait défection de part ni d’autre, la cavalerie de l’insurrection eût tardé à prendre l’infanterie et les canons du gouvernement, tout comme l’artillerie et les fantassins du gouvernement étaient hors d’état de poursuivre les cavaliers rebelles. Chacun se retira en s’adjugeant la victoire. O’Donnell publia le bulletin des opérations de la division monarchique-constitutionnelle, le gouvernement distribua des grades plus qu’il ne fallait en semblable circonstance. En réalité, il n’y avait ni vainqueurs ni vaincus ; mais par son incertitude même le combat de Vicalvaro forçait l’insurrection de modifier son plan de campagne, de chercher de nouveaux appuis, de nouveaux alliés, et c’est là, on va le voir, ce qu’il avait de grave au point de vue militaire aussi bien qu’au point de vue politique.

Qu’avait voulu le général O’Donnell ? Avec son noyau de troupes, il avait essayé d’ébranler la fidélité du reste de la garnison ; il n’avait point réussi. Il avait offert à Madrid l’occasion de se prononcer, Madrid n’en avait rien fait. De là pour l’insurrection la nécessité de chercher fortune ailleurs, il restait à choisir une direction : on prit celle de l’Andalousie, qui offrait plus de ressources, des étapes plus sûres, des moyens d’action plus nombreux. O’Donnell, avec ses cavaliers, croyait pouvoir renouveler l’expédition du célèbre partisan carliste Cornez, et battre pendant quelques mois les routes de l’Espagne, attirant à sa suite les troupes du gouvernement ou tentant quelque coup décisif suivant l’occasion. Politiquement, le combat de Vicalvaro avait un résultat plus grave encore : il conduisait au programme de Manzanarès du 7 juillet, et le programme de Manzanarès, œuvre d’un jeune publiciste, M. Canovas del Castillo, aujourd’hui député aux cortès, était un appel aux progressistes, dont il prenait quelques-unes des idées. Il adoptait pour symbole la réforme du régime administratif, des lois d’élections et de la presse, il invoquait une régénération libérale placée sous la garantie de l’établissement des milices nationales. En un mot, il était calculé pour rallier à la bannière levée au Camp des Gardes des nuances plus avancées d’opposition. Ainsi militairement et politiquement ce triste et fatal combat de Vicalvaro avait pour effet de donner à l’insurrection un caractère plus sérieux, de l’étendre, de l’éloigner du centre, par conséquent de la rendre plus difficile à atteindre. C’était là le danger pour le gouvernement, et ce danger se révélait déjà dans la difficulté de former une colonne expéditionnaire pour la lancer à la poursuite des insurgés. Ce n’est que le 5 juillet que la colonne, aux ordres du ministre de la guerre lui-même, pouvait quitter Madrid. Encore le général Blaser était-il obligé de marcher avec une extrême circonspection,