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membres de l’opposition conservatrice, MM. Rios Rosas et Luis Mayans, à côté de trois progressistes modérés, MM. Cornez de la Serna, Cantero et Miguel de Roda. C’est ce qu’on a nommé le ministère des quarante heures : — pouvoir de transaction ou de transition, si on n’aime mieux l’appeler un pouvoir de miséricorde.

Que pouvait-il ce ministère, sur lequel on a rejeté au dernier moment toute la responsabilité ? Formé dans une heure de détresse pour couvrir le trône et la société, composé d’hommes qui avaient des origines et des engagemens différens, il était à la fois trop régulier pour souscrire à une révolution et trop faible pour la dominer : par sa résistance impuissante comme par ses demi-concessions, il ne faisait que lui donner une impulsion plus vive. Il avait beau donner l’ordre de cesser le feu au risque de se désarmer lui-même, annoncer l’ouverture des cortès, aller chercher dans sa prison, pour l’envoyer en pacificateur auprès de l’émeute, un des officiers insurgés de Vicalvaro, le colonel Garrigo, qui avait été fait prisonnier, condamné par un conseil de guerre, puis gracié par la reine : n’importe, la lutte renaissait sur tous les points ; des juntes commençaient à se former, et des hommes accrédités, tels que le général San-Miguel, acceptaient le patronage de l’insurrection. La solitude où se trouvait ce ministère était immense. Enfermé dans le palais, il n’avait ni communications extérieures, ni amis, ni agens, ni serviteurs : tout le monde fuyait cette ombre de gouvernement. Les moyens militaires étaient au même niveau. Pour faire face à une révolution, le général Cordova disposait de deux mille hommes, dont une portion considérable était employée à préserver de toute attaque le palais de la reine. Les anciennes autorités militaires s’étaient retirées, et on ne savait par qui les remplacer. En moins de deux jours, il y eut successivement à Madrid quatre capitaines-généraux. Cependant l’insurrection grandissait, par cela même qu’elle n’était point vaincue et que l’impuissance du gouvernement semblait plus avérée. Dans les extrémités de ces journées terribles, on eut un instant l’idée d’entraîner la reine hors de Madrid avec les forces militaires restées intactes. Pensée périlleuse qui fut heureusement combattue ! Le vieux duc de Castroterreño se jeta, dit-on, aux genoux d’Isabelle pour la détourner de ce conseil. Les amis les plus dévoués et les plus clairvoyans de la reine sentaient que si elle quittait Madrid, c’en était fait peut-être de sa couronne.

C’est de cet ensemble de conjonctures que naissait, le 19 juillet, la résolution de remettre le gouvernement au duc de la Victoire ; mais le duc de la Victoire était loin, et il fallait vivre jusqu’à son arrivée. Or les troupes étaient désarmées par ce changement d’autorité qui les laissait sans direction. Ce faible ministère, qui se débattait depuis